Virus, religion et politique : Dieu appelé au secours de l’Amérique latine
Publié par Université de Tours, le 29 avril 2020 1.4k
Doctorant en Sciences de l’Information et de la Communication, Université de Tours
Si la propagation du virus Covid-19 est mondiale, les discours politiques, médiatiques et religieux concernant la pandémie diffèrent selon les régions du globe. En Amérique latine, la croyance religieuse est régulièrement présentée comme une réponse au virus, non seulement par les Églises (évangéliques et catholiques conservatrices) mais également par les forces politiques.
Au cours des dernières semaines, les discours de dirigeants en appelant à Dieu pour contrer le Covid-19 se sont multipliés dans l’ensemble de la région. Un phénomène qui rappelle non seulement la relation ambiguë entre le pouvoir politique et la religion sur le sous-continent, mais reflète également l’incapacité des États latino-américains à apporter des réponses concrètes à cette crise.
La pandémie ne vient qu’aggraver les conditions de vie dans cette région marquée par de fortes inégalités sociales, où l’État-providence reste insuffisant et l’accès à l’information plurielle et de « qualité » déficiente – notamment en raison du monopole médiatique à différents niveaux selon les pays.
Du Guatemala au Brésil, Dieu appelé au secours
À la mi-mars, le président guatémaltèque Alejandro Giammattei demandait sur la chaîne de télévision nationale au peuple de s’unir pour une journée de prière et de jeûne face à la pandémie du Covid-19, en implorant la bénédiction de Dieu pour le pays. Même scénario au Honduras, où le président Juan Orlando Hernández a invité – en direct à la télévision nationale du Honduras (TNH) et à partir de sa page Facebook – ses concitoyens à jeûner et à prier lors de la « Grande journée de prière pour la santé et l’unité du peuple hondurien ».
Lors d’une conférence de presse du gouvernement, le Salvadorien Nayib Bukele a quant à lui appelé les croyants à prier pour le pays : « Je sais que c’est un État laïque, mais nous avons beaucoup de croyants, à ceux qui le sont, je vous demande que nous demandions à Dieu de les aider à faire face à ce problème ».
Au Paraguay, le dirigeant Mario Abdo Benitéz a invité sur les réseaux sociaux les familles confinées « à ne pas oublier le domaine spirituel ». « Le pouvoir de la prière, j’en suis sûr, va protéger la nation », a-t-il ainsi déclaré.
Même le président uruguayen Luis Alberto Lacalle Pou a participé à une « prière interreligieuse » convoquée par le cardinal Daniel Sturla, archevêque de Montevideo. Le pays fait pourtant figure d’exception dans le paysage religieux en Amérique latine pour son attachement plus fort au principe de laïcité. Le président a souligné que l’État est laïque, mais pas laïciste en soulignant : « Toutes les initiatives en faveur de la nation et du pays sont les bienvenues – religieuses, laïques, toutes ».
Les exemples sont trop nombreux pour être tous cités, mais des initiatives similaires ont émané des différents gouvernements en Argentine, en Colombie, au Mexique, au Venezuela ou au Brésil.
La Bible, source d’information pour les croyants
En ce contexte et en période de crise sanitaire, une partie des Latino-Américains ont en effet tendance à chercher des réponses à leurs peurs et incertitudes dans la Bible, et à interpréter – notamment chez les courants chrétiens les plus conservateurs – les textes sacrés de manière littérale, ne tenant pas compte des évolutions scientifiques et sociopolitiques.
Pour nombre d’entre eux, la Bible est considérée non seulement comme une « source d’information » et d’explication concernant l’épidémie – la colère de Dieu, le signe de manifestation de la parousie, c’est-à-dire la deuxième venue du Christ et l’annonce du Jugement dernier, mais aussi comme un manuel ou un guide de survie pour faire face au Covid-19.
En ce sens, certains versets bibliques rencontrent un succès tout particulier chez les chrétiens de la région en ce temps de pandémie : « Si mon peuple sur qui est invoqué mon nom s’humilie, prie, et cherche ma face, et s’il se détourne de ses mauvaises voies, je l’exaucerai des cieux, je lui pardonnerai son péché, et je guérirai son pays » (Livre des Chroniques 7 :13-15).
Prier, se recueillir et principalement se repentir de ses péchés devient alors pour des nombreux Latino-américains chrétiens des « mesures barrières », et par conséquent des méthodes de survie face à la pandémie.
Un reflet de l’impuissance des politiques
Si ces discours parlent effectivement à de nombreux croyants dans la région, les dirigeants politiques ont recours à ces interventions médiatisées pour donner le change vis-à-vis de leurs concitoyens, faute de moyens financiers à la fois dans la tentative de lutter contre la pandémie et dans la tentative de les rassurer – voire d’infantiliser leurs habitants.
En Équateur, les dirigeants de la ville de Guayaquil, foyer épidémique du Covid-19 du pays, ont désigné la journée du dimanche 5 avril pour implorer Dieu face à la situation sanitaire calamiteuse de la ville et à l’expansion du virus dans le pays. Le président Lenín Moreno a invité les Équatoriens à s’unir en prière « indépendamment de leur croyance », car « la foi déplace les montagnes et que pour un croyant qui prie, rien n’est impossible ».
Le monde entier a ainsi eu vent de la Journée nationale de jeûne et de prière décrétée début avril par le président Jaïr Bolsonaro, afin que les Brésiliens soient « délivrés de ce mal le plus rapidement possible » – le même dirigeant qui refuse de confiner sa population pour ne pas mettre à mal l’économie du pays. Cette décision aurait été prise trois jours plutôt, à la demande d’un groupe de pasteurs évangéliques.
Une diffusion dans les médias traditionnels
Du fait de la structure des médias dans la région, marquée par une forte concentration, les discours des dirigeants latino-américains à propos de la pandémie associant religion et lutte contre la propagation du virus sont diffusés dans les médias généralistes et sur les réseaux sociaux numériques des différents pays, alors même qu’ils comportent parfois des risques.
Ainsi, au Nicaragua, en réponse à la pandémie du Covid-19, la vice-présidente Rosario Murillo – également épouse du dirigeant Daniel Ortega – a utilisé les médias du gouvernement pour organiser des rassemblements de masse dans tout le pays afin d’informer le peuple sur les mesures d’hygiène et sur les « gestes barrières » pour lutter contre la pandémie…
La vice-présidente a expliqué aux concitoyens la raison de la marche intitulée « Amor en tiempos del Covid-19 » (Amour en temps de Covid-19) :
« Nous allons marcher avec la force de la foi et de l’espoir dans tout le pays, en prière permanente et en solidarité avec tous les peuples, les familles et frères dans le monde qui sont affectés par le coronavirus. »
Des relais religieux très développés
La région compte par ailleurs depuis quelques décennies une très vaste et florissante « industrie culturelle de la foi » et des biens symboliques du salut. Musique gospel sous forme d’hymnes de louanges, livres religieux, CD-DVD, cette tendance en perpétuelle expansion s’explique notamment par l’explosion de l’évangélisme qui séduit les déçus d’une Église catholique très décriée.
Dans le contexte de la pandémie, les différentes obédiences utilisent leurs puissants relais sur Internet pour produire et diffuser des contenus à dimension politico-religieuse. Prédications, images numériques de piété, séances de prières se multiplient à mesure que la pandémie se répand dans la région.
Dans une période au cours de laquelle l’éloignement social est préconisé par les politiques de santé publique de lutte contre le virus, les médias – qu’il s’agisse des médias dits traditionnels comme la télévision, la radio ou la presse ou des médias numériques, réseaux sociaux numériques, blogs, sites Internet – représentent le médium par excellence de consommation de biens symboliques du salut chez les croyants.
Cet article est republié à partir de The Conversation. Lire l’article original.