Vers une nouvelle génération de cosmétiques à libération stimulée
Publié par ARD CVL Cosmétosciences, le 11 octobre 2021 1.2k
Technique du dip coating
[Article paru dans le magazine Microscoop-CNRS Hors Serie#21 - Octobre 2021]
L'utilisation de matériaux intelligents pour créer une nouvelle génération de cosmétiques à libération dite stimulée mobilisent plusieurs laboratoires. A terme, le consommateur pourra gérer et déclencher de manière active ou inconsciente, la libération d’un actif cosmétique.
L’équipe Nanomédicaments et Nanosondes (NMNS – EA 6295 Université de Tours) a pour spécialité la préparation de nanosystèmes, c’est à dire des assemblages moléculaires de taille nanométrique. Elle a travaillé au développement de nanovecteurs polymères sensibles à la température, notamment en ciblant le soin du cheveu. Ce polymère, grâce à une modification chimique, se lie fortement à la kératine du cheveu. Ainsi, en l’utilisant dans un produit cosmétique, le consommateur pourra déclencher le relargage des actifs cosmétiques au moyen d’une source de chaleur, par exemple un fer à lisser ou un sèche-cheveux. Il reste à étudier leur incorporation dans un spray capillaire et la possibilité de réactiver le système par une nouvelle application de la
source de chaleur. Ces nanovecteurs pourront encapsuler des actifs cosmétiques de coloration capillaire ou de soin tels que ceux développés par le partenaire industriel Bioeurope.
Une recherche a également été menée pour développer des nanovecteurs ciblant notamment les peaux agressées par les UV. Un polymère sensible au niveau de stress de la peau a été mis au
point. Dans ce cas c’est au moment où la peau subit une certaine dose d’UV que l’actif cosmétique (ici, antioxydant) est libéré.
DES MOLÉCULES BIOSOURCÉES
Les nanosystèmes développés par l’équipe NMNS ne peuvent pas être appliqués directement sur le cheveu ou la peau, ils doivent être mis en forme dans une formule cosmétique filmogène qui facilite l’application sur la peau ou les cheveux, et permet aux systèmes de rester en place jusqu’à la libération de l’actif. Deux équipes orléanaises ont été impliquées. L’Institut de Chimie Organique et Analytique (ICOA - UMR7311 CNRS/Université d’Orléans), expert dans la transformation par voie chimique de molécules biosourcées, a eu pour objectif de préparer des molécules clés (synthons) utilisées dans la préparation d’oligomères et de polymères filmogènes innovants d’origine naturelle. Avec la spectrométrie de masse MALDI-TOF une nouvelle famille d’oligomères particulièrement intéressante, car soluble dans l’eau et filmogène a été identifiée. Des études sont encore menées afin de les utiliser pour véhiculer des actifs cosmétiques ou des nanovecteurs stimuli-sensibles.
Le laboratoire Interfaces, Confinement, Matériaux et Nanostructures (ICMN - UMR7374 CNRS/Université d’Orléans) possédant une expertise dans la formulation et la caractérisation de films polymères et de films nanostructurés, a caractérisé les propriétés des formulations filmogènes contenant des nanosystèmes stimuli sensibles développés par l’équipe NMNS. Les filmogènes utilisés sont d’ores et déjà autorisés dans les produits cosmétiques. L’objectif principal était par conséquent d’étudier leur capacité à la libération stimulée des actifs cosmétiques.
Image en microscopie électronique de nanomicelles sensibles à la température. Source : Cosmétosciences
UNE APPROCHE INNOVANTE DE CARACTÉRISATION
Les films ont été réalisés par la technique du Dip coating pour en maîtriser l’épaisseur et la rugosité, et faciliter ensuite l'étude du relargage des actifs cosmétiques. Des méthodes de caractérisation spécifiques ont dû être mises au point pour analyser ces nouveaux systèmes nanocomposites. Ainsi, les chercheurs ont eu recours à un ellipsomètre extrêmement précis et sensible qui a contribué à déterminer l'ensemble des propriétés des films telles que l'épaisseur, la concentration et la répartition des nanosystèmes. Cet équipement permet de suivre la modulation de la vitesse d’érosion des films et la mise en évidence de la conservation de l’effet stimulant.
Une collaboration étroite entre l’équipe NMNS et le laboratoire ICMN a aidé au développement d’une approche innovante de caractérisation par imagerie Raman qui permet de manière non destructive de vérifier l’homogénéité de la répartition des nanovecteurs ou de quantifier l’actif cosmétique directement dans les films. Notamment, cette technique s’est révélée très intéressante pour étudier les films chargés en nanovecteurs de Delipidol®, un actif amincissant développé par le partenaire industriel Bioeurope.
UNE ÉVALUATION BIOLOGIQUE DES SYSTÈMES
La toxicité des nanovecteurs a été examinée sur cellules humaines par l’équipe NMNS avant d’engager des études plus poussées sur des modèles de cheveux ou de peau. Des nanovecteurs thermosensibles chargés en marqueur fluorescent réagissant à une source de chaleur ont été préparées au laboratoire pour réaliser des essais sur le cheveu humain et vérifier la libération contrôlée par des méthodes d’imagerie de fluorescence. Il a été démontré que la chaleur d’un sèche-cheveux ou d’une lampe chauffante infrarouge favorise la pénétration profonde d’un colorant encapsulé. En parallèle, des protocoles de suivi de la diffusion des actifs cosmétiques dans divers modèles de peau, dont un modèle innovant développé par Transderma Systems, ont été mis en place pour tester à la fois les nanovecteurs et les produits finis chargés en nanovecteurs. Des méthodes spécifiques d’étude de l’influence du stimulus sur la pénétration des actifs par imagerie Raman sont en cours de développement par le tandem NMNS-Transderma systems pour confirmer que la libération stimulée a bien lieu au sein du tissu.
DÉVELOPPEMENT ET OPTIMISATION DES MÉTHODES D’ANALYSE ET DE TRAITEMENT DE DONNÉES
Les données collectées par imagerie Raman sont très complexes. Les expertises de l'équipe IBrain (Imagerie et Cerveau - U1253 INSERM/Université de Tours/CHRU Hôpitaux de Tours) spécialisée dans l'analyse d'images, les transforment en données visuelles qui permettront aux fabricants de produits cosmétiques, de comprendre et d'analyser les résultats enregistrés. L’outil fournit des informations sur la quantité d’actif présent dans la peau et sur sa distribution.
Une méthode mathématique de traitement de données spectrales a été établie. Sa validation se poursuit actuellement afin de proposer un traitement automatisé des images Raman. Une fois mis en place, il pourra être transféré au secteur industriel via une interface logicielle dédiée qui reste encore à développer. Les domaines du test et de l’objectivation sont très concurrentiels avec l’apparition de nouveaux acteurs s’appuyant sur des technologies de plus en plus pointues. En intégrant les avancées mises en avant par le projet MISTIC, les partenaires industriels pourront conforter leur position d’acteurs innovants sur le marché des cosmétiques, et poursuivre les tests internes pour diversifier leurs utilisations et améliorer encore les outils d’analyse. Des retombées à court et moyen terme sont envisagées, notamment grâce au travail effectué sur l’utilisation de la technologie Raman pour visualiser la pénétration d’ingrédients au niveau cutané.
Équipe ARD CVL COSMÉTOSCIENCES
cosmetosciences@univ-orleans.fr
Émilie MUNNIER (E.A. 6295 Nanomédicaments et Nanosondes, Université de Tours)
emilie.munnier@univ-tours.fr
http://cosmetosciences.org
http://nmns.univ-tours.fr