[RécréaSciences] - Connaissez-vous les animaux-mousses ?
Publié par Guy-Antoine Dufourd, le 31 août 2023 1.5k
La mystérieuse Pectinatella magnifica peu ragoutante avec son allure gélatineuse de méduse d’eau douce est régulièrement signalée ces dernières années en Europe et prolifère avec les chaleurs estivales dans nos mares et étangs. Elle n’est pas dangereuse, voire utile en filtrant les eaux pour se nourrir des matières organiques, mais elle peut être gênante en colmatant les prises d’eau.
C'est au cours de l'été que les colonies se développent et s'observent en eaux calmes, accrochées aux pierres, branches ou racines entre deux eaux. S'agit-il d'une méduse d'eau douce, d'un oeuf d'une étrange créature marine... ? Non c'est la Pectinatelle, notre animal-mousse en photo mystère de la lettre d'info de cet été. Photo A. Delhoume
Il s’agit en fait de colonies pouvant atteindre la taille d’un ballon voire plus[1] lors de leur développement maximal en septembre. Ces petits animaux aquatiques appartiennent dans la classification phylogénétique du vivant aux Ectoproctes, également appelés Bryozoaires. La colonie est constituée d’individus nommés Zoïdes, abrités dans un squelette externe non minéralisé de gélatine (constitué principalement d’eau et d’une protéine), d’où cet aspect énigmatique d’une boule gélatineuse. Espèce invasive d’Amérique du Nord, certainement arrivée dans l’eau des ballasts d’un navire fin du XIXe siècle, elle est signalée en France dès 1994[2] et notamment en forêt de Tronçais dès 2011.
Découverte en 2022 sur l'étang de M. Gentil - Site de la Maison de l'Eau à Neuvy-sur-Barangeon d’une colonie de Pectinatella magnifica mesurant ici près de 50cm, mais pouvant atteindre un mètre pour plusieurs kilogrammes. Photo A. Delhoume.
Qui sont-ils ces animaux-mousses ?
Les Bryozoaires rappellent les mousses et regroupent plus de 4 000 espèces essentiellement marines. On retrouve les traces fossiles dans les faluns tourangeaux du Miocène ; couramment on parle d’animaux-mousses avec de nombreuses espèces marines parfois confondues avec les coraux. C’est pour les particularités de sa reproduction que les scientifiques se sont intéressés à ces cousines d’eau douce. La colonie produit des statoblastes d’un millimètre, une bonne taille chez cette espèce. Ces éléments de reproduction asexuée en s’accrochant aux plumes d’oiseaux facilitent la propagation. Sur les photos au microscope, on distingue nettement les épines en forme d’ancre qui leur permettent de se fixer à tous supports. Le matériel germinatif des statoblastes étant protégé dans une capsule de chitine, ils peuvent ainsi résister aux variations de températures hivernales -mais aussi à la chaleur en cas d’assèchement du plan d’eau- pour sortir de dormance avec le retour des beaux jours. Enchâssés dans un anneau telle une bouée, ils flottent et sont aussi disséminés au fil de l'eau.
Il est possible d'observer en nombre les statoblastes libérés en nombre à l'automne lorsque les masses gélatineuses se délitent. Ici, un très beau cliché en macrophotographie (environ 1,1mm) réalisé à la surface de l'eau avec un simple appareil numérique par Arnaud Delhoume.
Quelles menaces pour cette espèce invasive ?
La progression actuellement très rapide de l’espèce et son potentiel d’expansion en Europe[3] impliquent de mieux en connaître la distribution et de recueillir les signalements par des enquêtes participatives. L’espèce pourrait représenter une concurrence sérieuse pour d’autres organismes microphages filtreurs. Mais c’est surtout pour la faune piscicole que la menace est réelle : la Pectinatelle peut être l’hôte d’un Myxozoaire parasite, Tetracapsuloides bryosalmonae, agent de la maladie rénale proliférante (MRP), caractérisée par une hypertrophie des reins qui touche les Salmonidés et le brochet, cause d’une réduction des populations sauvages et de pertes économiques pour les élevages[4]. Il semble vain de lutter contre sa prolifération en retirant les colonies de cette espèce, tant est grande la capacité de reproduction des Statoblastes ; bourgeons de résistance hivernale libérés en nombre à l’automne lors de la dégradation de la masse gélatineuse, ils semblent se propager au gré des voies d’eau, des activités nautiques et de la dissémination par les oiseaux et animaux d’eau. Les conditions favorables à cette expansion doivent être explicitées mais parmi les hypothèses, l’eutrophisation des milieux aquatiques plus que l’impact d’un changement climatique semble probante. Aussi est-il essentiel pour la recherche de mieux comprendre sa diffusion et de contrôler les conditions de son développement, en limitant l’apport en nutriments et la densité des poissons en élevage par exemple.
Cliché réalisée par Guy Lévêque à l'aide d'un smartphone et d'une loupe binoculaire, lors de la présentation réalisée par le Site de la Maison de l'Eau au village des sciences du Muséum d'Histoire Naturelle de Bourges en octobre 2022.
Faites-le-vous même !
Observez autour de chez vous les étangs et cours d'eau assez calmes à la fin de l'été à la recherche de ces étranges masses gélatineuses. Vous pouvez aussi photographier les statoblastes libérés en nombre à la fin de l'automne. Lors de l'écriture de cet article, nous n'avons pas pu identifier une base de données pouvant recueillir vos signalements mais vous pouvez contacter un acteur régional ou une association d'éducation à l'environnement, telle que le Site de la Maison de l'Eau sur le département du Cher. N'oubliez pas lors de vos observations que vous pouvez vous-même être vecteur de la dissémination des capsules s'accrochant à vos affaires, donc n'hésitez pas à rincer vos bottes avant d'aller sur un autre cours d'eau.
Avec tous mes remerciements pour leurs relectures attentives et leurs photos à :
Guy Lévêque, chercheur associé laboratoire CIMEOS - Université de Bourgogne – Dijon,
et à Arnaud Delhoume, animateur nature, Site de la Maison de l’eau à Neuvy-sur-Barangeon.
Le visuel en haut de page est une photographie de Patrice Notteghem, président de la société d'histoire naturelle du Creuzot. Merci à l'équipe de Bourgogne Franche-Comté Nature pour la mise en ligne de la ressource citée - avec l'aimable autorisation de BFCN
[1] Cahuzac B., Hondt J.-L., 2017
[2] En France, elle a été observée pour la première fois en 1994 sur le canal de la Haute-Saône (Territoire de Belfort) (Notteghem, 2009), puis en 1995 dans l’étang de la Héronnière (Vosges) (Hondt & Condé, 1996)
[3] Notteghem, 2009 et Balounova, 2013
[4] Massard et al. 2013
Quelques liens pour en savoir plus :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Pectinatella_magnifica
http://especes-exotiques-envahissantes.fr/espece/pectinatella-magnifica/
http://especes-exotiques-envahissantes.fr/la-pectinatelle-un-bryozoaire-dulcaquicole-aujourdhui-largement-repandu-et-parfois-tres-encombrant/
Signalement en région dans la presse :
• Août 2021 sur France Bleu en Haute Vienne (lien)
• Septembre 2016 dans le Berry Républicain (lien)
Parutions scientifiques en référence :
Balounova, Z., E. Pechouskova, J. Rajchard, V. Joza & J. Sinko, 2013. World-wide distribution of the Bryozoan Pectinatella magnifica (Leidy, 1851). Europ. Jour. Environnemental Sci., 1, 3 : 96-100. [lien]
Cahuzac B., Hondt J.-L., 2017, D’abondantes populations de Pectinatella magnifica (Leidy, 1851) (Bryozoaires dulçaquicoles) dans les Landes, à Dax. Présentation illustrée de l’espèce, Bull. Soc. Linn. Bordeaux, 152, 45(3), 265-287 [lien]
Massard J.A., Geimer G. & Wille E., 2013, Apparition de Pectinatella magnifica (Leidy, 1851) (Bryozoa, Phylactolaemata) dans le lac de barrage d’Esch-sur-Sûre (Luxembourg), Bull. Soc. Nat. Luxembourg, 114 (2013) 131-148 [lien]
Notteghem P., 2009. Évolution de la distribution de la Pectinatelle, Pectinatella magnifica (Leidy, 1851), Bryozoaire d’eau douce en France et en Europe. Rev. sci. Bourgogne-Nature, 9/10, 188-197. [lien]