Par Toutatis, le ciel est tombé sur la table !
Publié par Philippe Cavier, le 20 septembre 2023 2.2k
Une météorite tombe du ciel... c’est sa destinée. La probabilité de l’événement est assez élevée en théorie puisqu’au moins une météorite tombe sur Terre chaque jour. Mais la chance qu’une nuit, elle tombe sur une table de jardin en réveillant sa propriétaire est tellement plus rare ! Et de plus qu’une caméra de surveillance en enregistre le son de la collision devient exceptionnel. Pourtant ce n’est pas une fiction, mais le début d’une belle aventure, au cœur de laquelle le Pôle des Étoiles, sur la Station de Radioastronomie de Nançay, a été impliqué en cette mi-septembre. Pour mieux comprendre la chute de l’histoire, parlons d’abord de « vigie ciel ».
Bolide du 10 septembre 2023 capturé par la caméra FRIPON du Pôle des étoiles - photo Vigie-Ciel
Le programme Vigie-Ciel
Vigie-Ciel est un programme de sciences participatives, porté par le Muséum National d’Histoire Naturelle de Paris. Il est associé à l’Observatoire de Paris, l’Université de Paris Sud, l’Université de Grenoble, l’Institut PYHEAS - Observatoire des Sciences de l’Univers à Marseille, mais aussi des lieux de médiation scientifique tels Universcience, des planétariums, des associations d’astronomie et de géologie.
Le but du programme est de récolter les témoignages d’observations d’étoiles filantes et surtout de bolides, qui pourraient être suivis par la chute d’une météorite. Nous sommes nombreux à observer le ciel à l’œil nu ; par curiosité scientifique, ou tout simplement parce qu’il nous fait rêver. Si nous sommes témoins du passage d’un très beau bolide, un seul réflexe : se connecter au site Vigie-Ciel pour remplir le formulaire interactif « j’ai vu une grosse étoile filante ». Ces témoignages sont très importants et accompagnent le programme FRIPON.
Créé en 2013 le programme FRIPON est associé tout naturellement à Vigie-Ciel. Il s’agit d’un réseau de plus d’une centaine de caméras, qui surveillent le ciel en permanence. Elles sont installées en France, en Europe, Afrique, Amérique du nord et du sud, jusqu’en Australie. Ce réseau de caméras enregistre les passages des plus grosses étoiles filantes, les bolides, ainsi que la date, l’heure et la trajectoire. Le réseau FRIPON a l’avantage de permettre de déterminer la trajectoire du météore et potentiellement le lieu de la chute. Elles sont associées à un système de détection radar : GRAVES (Grand Réseau Adapté à la VEille Spatiale) est un système français développé par l’ONERA utilisé pour détecter les satellites évoluant en orbite terrestre basse (moins de 1 000 km) au-dessus du territoire national. Son émission active dans le domaine électromagnétique des ondes radio (à 143 Mhz) se réfléchit aussi sur la traînée lumineuse des bolides dans la haute atmosphère. Il suffit alors d’une simple antenne et d’un récepteur calé sur cette fréquence radio. Ce système présente l’avantage de détecter de jours comme de nuit et quelle que soit la météo.
De gauche à droite : François Colas (responsable du projet FRIPON, OBSPM), Philippe Cavier et Charbal Kanzandjian (respectivement animateur et responsable au Pôle des étoiles – Nançay), Sylvain Bouley (planétologue, équipe FRIPON/Vigie-Ciel, Université Paris Saclay) - photo Vigie-Ciel
Un dispositif FRIPON au Pôle des étoiles à Nançay
Créé sur le site de la Station de Radioastronomie de Nançay, le Pôle des Étoiles accueille les visiteurs pour découvrir l’astronomie avec un planétarium, des visites guidées des instruments de recherche et ses expositions permanente et temporaire. Aussi était-il tout légitime d’y installer ce dispositif avec une caméra FRIPON et une antenne radio. Étant responsable de cette instrumentation, j’en surveille le bon fonctionnement, le suivi des détections et participe à la collecte de données, accessible au grand public, qui permet de visualiser en permanence les images enregistrées.
Le 10 septembre 2023 vers 0h13, heure locale Française, un bolide très lumineux a été enregistré par plusieurs caméras, notamment celle de Nançay parmi les plus belles. De très nombreux témoignages ont été déposés sur le site de Vigie-Ciel, mentionnant cet événement rare par sa luminosité et la durée de l’observation pendant près de 7 secondes. Mais là où l’aventure devient exceptionnelle, c’est le lundi 11 septembre au matin, quand une personne habitant à proximité (et souhaitant garder l’anonymat) nous a contacté au Pôle des Étoiles... pour mentionner « qu’un caillou est tombé sur sa table de jardin ». Trouvant l’objet étonnant, elle le présente dès le lendemain. Quelle surprise de voir qu’il ne s’agit pas d’un simple caillou : la croûte de fusion, caractéristique d’une météorite, semble presque évidente. Bien que cassé en plusieurs morceaux, la structure interne nous oriente vers une chondrite, mais peu de « chondres » semblent visibles. Ces derniers très caractéristiques sont des petits grains de minéraux silicatés qui brillent sous la lumière. Après ces premiers constats, et l’invitation à le signaler auprès de Vigie-Ciel, je sollicite rapidement de mon côté François Colas, responsable du réseau FRIPON, avec quelques photos et l’heure précise de la chute. « Bouges pas, j’arrive... », avec l’enthousiasme et la prudence scientifique de rigueur, il arrive aussitôt de Paris avec Sylvain Bouley, membre de l’équipe Vigie-Ciel. Le soir même, Ils rencontrent la personne et lui confirment qu’il s’agit bien de la météorite. Un fragment est apporté très rapidement au Muséum National d’Histoire Naturelle pour analyse. Parmi les autorités en la matière, Ludovic Ferrière, du Muséum d’Histoire Naturelle de Vienne, détenteur d’une des plus belles collections scientifiques au monde, saute dans le premier avion pour rapporter un échantillon au département de physique nucléaire et de biophysique de l’université Comenius à Bratislava en Slovaquie. Équipé d’un spectromètre gamma qui permet de mesurer les concentrations de certains noyaux radioactifs en détectant leurs désintégrations, ils sont pionniers dans ce type d’analyse. Ce vendredi 15, un 3ème article dans Vigie-Ciel partage la découverte et les travaux en cours.
La structure interne des fragments présente des chondres caractéristiques bien que peu nombreux d'une chondrite, a priori de type H5 - cliché Pôle des Étoiles à Nançay
Quel étonnement d’avoir vécu au première loge une histoire est à la fois très belle et scientifiquement très importante. Il y a eu des précédents, comme le 13 février dernier où une observation similaire a conduit l’équipe Vigie-Ciel en Normandie (lien). Une dizaine de morceaux de la météorite seront retrouvés quelques jours plus tard. Dans le cas de notre météorite, le délai entre l’observation du bolide et la récupération de la météorite a été particulièrement court, peut-être même d’un record mondial... c’est très important pour réaliser les premières analyses. Elle nous rappelle aussi à quel point l’organisation et la dimension participative du projet Vigie-Ciel est importante et essentielle pour certains domaines de la recherche. En attentant de nous en apprendre un peu plus avec cette météorite sur l’histoire du système solaire, celle-ci nous aura pour le moins racontée une très belle histoire, surtout si l’on songe au heureux hasard qui a permis d’en découvrir autant en si peu de temps à propos d’un bel événement céleste, en plein cœur de la Sologne, paysage tranquille de forêts et d’étang, d’où les astronomes scrutent les mystères de l’univers profond avec les radiotélescopes.
Philippe CAVIER, médiateur scientifique et responsable du programme FRIPON au Pôle des Étoiles
Liens pour en savoir plus :
• Bolide du 10 septembre, 00h13
• Une nouvelle météorite française
• 4 jours après la chute, des mesures par spectrométrie Gamma en cours