Les insectes archéologiques témoignent du passé des humains
Publié par Université de Tours, le 2 mai 2022 850
Ils sont partout ! Dans la maison, le jardin ou encore la forêt, les insectes ont conquis l’ensemble des niches écologiques. Donc rien de surprenant si vous en voyez tous les jours. Si vous regardez attentivement, vous verrez que ce ne sont pas les mêmes en fonction des endroits. Bien qu’ils soient présents dans tous les milieux, beaucoup d’insectes ont des exigences strictes vis-à-vis de leurs conditions de vie. Ces dernières peuvent reposer sur des équilibres physico-chimiques (température, humidité, etc.), sur la disponibilité d’une ressource alimentaire, ou encore sur le degré de lumière d’un milieu (forêt, prairie, etc.).
Leur présence est donc conditionnée par de nombreux facteurs environnementaux. En conséquence, les insectes réagissent aux perturbations de leur environnement, qu’elles soient dues aux pratiques humaines ou à des phénomènes naturels – les insectes sont ainsi des « bio-indicateurs de milieu ».
Mais si les insectes nous aident à étudier notre environnement actuel, ils peuvent aussi permettre de comprendre celui de nos ancêtres et les relations que ceux-ci ont entretenu avec leur environnement naturel ou modifié par leurs actions.
Des vestiges d’insectes archéologiques
L’archéoentomologie est la discipline qui étudie les vestiges d’insectes issus des sites archéologiques. N’ayant pas subi d’évolution depuis les cent derniers millénaires, les insectes archéologiques sont donc comparables aux insectes actuels. C’est en s’appuyant sur cette observation que les scientifiques sont capables de les identifier. Cela est possible grâce à leur exosquelette, c’est-à-dire leur carapace, notamment celle des coléoptères (scarabées, coccinelles…), plus résistante, pouvant se conserver sur de longues périodes sans pour autant être fossilisée. À l’image des ossements issus de fouilles archéologiques, les insectes seront conservés dans leur état actuel, mais sous forme de fragments plus ou moins dégradés nommés « sclérites ».
Leur état de conservation varie selon le milieu d’enfouissement. Il peut s’agir de milieux secs et confinés comme des tombes, ou de structures carbonisées comme les greniers et silos, mais ce sont les environnements humides qui sont les plus propices à leur bonne conservation (puits, douves, tourbières, etc.).
Pour extraire les restes d’insectes d’une couche archéologique, le sédiment prélevé sur le terrain est désagrégé délicatement dans une bassine sous un jet d’eau, puis tamisé. Les restes organiques sont ensuite imbibés de pétrole désaromatisé – auquel l’exosquelette des insectes adhère, contrairement aux débris végétaux : cette étape permet d’isoler les restes d’insectes.
Une fois les restes d’insectes extraits et triés, on commence par les identifier aux espèces, genres ou familles pour chaque échantillon correspondant chacun à une datation précise. Puis, puis on interprète le rôle écologique de chacun de ces insectes dans ce milieu.
Ainsi, il est possible d’obtenir des informations sur les sociétés passées, les conditions environnementales de l’époque, ou encore sur la façon dont les activités humaines ont modelé les environnements. Mais il est aussi possible d’aborder des questions écologiques sur les premiers insectes invasifs ou les premiers impacts des humains sur la biodiversité.
Les insectes témoins des paléoclimats et des paléoenvironnements
En France, il existe plus de 11 000 espèces de coléoptères adaptées à une diversité d’habitats. Les conditions climatiques contrôlent la répartition géographique de nombreux coléoptères, notamment les prédateurs appelés « carabes » – la présence d’une espèce ou d’une autre dans le sédiment archéologique donne donc des indications sur le climat qui régnait au moment du dépôt.
Outre le climat, les insectes peuvent apporter de nombreuses informations sur l’environnement et son évolution sous l’influence des pratiques humaines.
À ce titre, les phytophages (végétariens) et xylophages (mangeurs de bois) ont une place de choix. Certaines espèces ne se développent que dans les milieux forestiers, à l’inverse d’autres qui préfèrent les milieux ouverts comme les prairies. Elles permettront ainsi d’obtenir une image du milieu, ainsi que de son couvert végétal, car les phytophages dépendent de la présence de leur plante hôte.
Parmi ces insectes spécialisés, la famille des chrysomèles illustre parfaitement cette monophagie. En effet, il existe de très nombreuses espèces, chacune adaptée à une plante ou famille de plante : chrysomèle du bouleau, de l’aulne, de la menthe ou encore altise du chou… Leur présence sur un site archéologique signifie que la plante nourricière était présente, bien que celle-ci ne soit pas conservée dans la majorité des cas.
Les bousiers témoignent du début de l’amendement du sol à l’âge de Fer
Les plantes nitrophiles sont celles qui aiment les sols riches en nitrate et en déchets organiques. Ces végétaux, dont le plus célèbre est sans doute la grande ortie, sont souvent typiques de milieux exploités par les humains, avec des animaux en contexte pastoral par exemple.
Entomologiquement, cela se traduit par la présence de ces phytophages spécialisés, mais aussi par la présence des coprophages, les fameux bousiers. Ces insectes se nourrissent des excréments des autres animaux et jouent donc un rôle indispensable, car ils recyclent la matière organique en engrais naturel et évitent par la même occasion la propagation de maladies dans l’environnement naturel et les élevages. Bien que le plus connu soit le scarabée sacré des Égyptiens, il existe en France environ 250 espèces de bousiers avec des mœurs variées. Ces espèces peuvent permettre d’attester la présence d’élevages en milieu forestier ou en prairie ainsi que des phénomènes historiques importants comme les débuts des pratiques d’amendement du sol par la fumure à l’âge de Fer.
De plus, certaines espèces apprécient une large gamme d’excréments alors que d’autres sont plus strictes. Leurs exigences nous apportent des informations sur les animaux qui pâturaient, même si aucun reste osseux n’est présent.
Si les bousiers et autres décomposeurs sont bénéfiques dans les élevages, d’autres insectes sont plus problématiques pour le milieu agricole. Encore aujourd’hui, nous luttons contre les ravageurs qui provoquent des dégâts à nos cultures et nos stocks. L’histoire de ces insectes est étroitement liée aux humains et au début de l’agriculture où ces espèces sont passées du milieu naturel à un milieu anthropisé où l’abondance des ressources alimentaires (monoculture, stocks, etc.) a favorisé leurs pullulations. Pour la recherche archéologique, ces ravageurs peuvent apporter des informations sur la qualité sanitaire des denrées alimentaires ainsi que sur les pratiques répulsives. À ce titre, l’agronome romain Columelle propose des conseils sur la hauteur des tas de grain à conserver dans les greniers, parle des mesures à prendre en cas de présence de charançons dans le blé et des pertes dues aux insectes qui pouvaient dépasser 10 % des récoltes de céréales (Columelle, Res rusticae chapitre 6).
Le charançon du blé témoin des migrations humaines et des routes commerciales
Le charançon du blé (Sitophilus granarius) est connu depuis l’Antiquité pour causer des dégâts importants dans les stocks de céréales. Il s’agit d’une espèce qui pond et réalise son développement larvaire dans les réserves de grains entreposés (blé, seigle, orge, etc.) et qui n’a donc pas besoin de la plante vivante pour se nourrir. Cet insecte a la particularité d’être aptère, c’est-à-dire dépourvu d’ailes, ce qui le rend dépendant des migrations humaines pour ses déplacements. En accompagnant les transferts de céréales, son handicap lui donne donc le statut privilégié de témoin des transports de grains à longue distance et de leur intensification au cours de l’Histoire.
Originaire d’Asie Mineure, il est possible de voir sa progression au Proche-Orient du Néolithique (7 000 av. J.-C.) à la Protohistoire (2500 av. J.-C.). On observe ensuite une invasion très intense de cet insecte à l’époque romaine, à partir du moment où l’urbanisation gallo-romaine devient massive (Ier siècle ap J.-C), pour enfin arriver en Amérique à l’époque moderne (XVIIIe siècle).
Des insectes témoins de l’impact des humains sur la biodiversité
Déforestation pour l’agriculture et l’élevage, amendement des sols ou encore urbanisation : en modifiant localement les écosystèmes naturels, ces pratiques ont eu un impact sur la biodiversité entomologique en favorisant certaines espèces au détriment d’autres. En comparant les mêmes sites à différentes époques, il est possible de voir comment certains insectes ont pu s’adapter aux environnements anthropisés, puis former les premières communautés d’insectes sinanthropes (animaux sauvages vivants proches des humains : mouches, blattes, mites, etc.) ; tandis que d’autres ont dû s’éloigner ou disparaître localement suite à la destruction de leur habitat (pique-prune).
Dans le même ordre d’idée, la croissance des échanges de marchandises, de denrées alimentaires étrangères ou encore de nouveaux animaux à partir de l’âge du Fer aurait pu permettre l’introduction d’insectes et de parasites invasifs dans un nouveau milieu. Ce scénario suivrait la piste de l’arrivée du rat noir en France au Ier siècle apr. J.-C. ou encore des adventices (mauvaises herbes) comme la nielle des blés et le myagre qui aurait suivi les transports humains à l’âge du Fer.
Au moment où nous commençons à comprendre les mécanismes des invasions biologiques et leurs impacts sur l’environnement, serait-il imaginable que les pratiques du passé aient dû s’adapter à des insectes non identifiés pour le moment ? Seule l’analyse des insectes provenant de nombreux autres sites permettra de mieux appréhender l’évolution des interactions entre les humains et leur environnement tout au long de l’Histoire.
Jérémy Rollin, Doctorant en archéoentomologie, Université de Tours
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.