Le peuplier noir et ses propriétés en Cosmétique
Publié par ARD CVL Cosmétosciences, le 26 avril 2023 800
Frédéric LAMBLIN du laboratoire LBLGC de l'Université d'Orléans.
Pour répondre à la demande des consommateurs en termes de qualité, de naturalité et de traçabilité des matières actives et conservateurs, l’industrie cosmétique est à la recherche de nouvelles molécules végétales s’inscrivant dans une démarche de biosourcing à la fois local, durable et écoresponsable.
La recherche de matières premières végétales pour développer de nouveaux ingrédients constitue donc un enjeu majeur comme le montrent les investigations menées sur des co-produits et sous-produits de l’agriculture ou encore des plantes invasives.
C’est dans ce contexte que l’équipe Signalisation Cellulaire du LBLGC (UPRES EA 1207/USC INRAE 1328, Université d’Orléans) a choisi de s’intéresser, par une approche originale, au compartiment racinaire des arbres, dans le cadre du projet collaboratif CosmétoPop, démarré en 2021 et financé par la Région Centre Val de Loire dans le cadre du programme ARD CVL Cosmétosciences.
Ce projet prospectif vise à explorer, en vue d’une application cosmétique, les potentialités conservatrices (antimicrobiennes, antioxydantes) et de préservation du microbiote cutané des exsudats et extraits racinaires de peuplier noir (Populus nigra), une espèce emblématique du Val de Loire.
L’objectivation de ces propriétés est réalisée au sein de l’entreprise GLYcoDiag, partenaire du projet, et experte dans les méthodes de criblages microbiologiques (technologie du microchallenge test).
Par ailleurs, la compréhension des mécanismes de signalisation contrôlant la biosynthèse des molécules d’intérêt sera un avantage considérable dans une montée en échelle de production.
Le pouvoir insoupçonné des racines de peuplier
Les plantes sécrètent dans le sol des mucilages produits par un réseau de cellules frontières se détachant régulièrement de la coiffe racinaires, l’ensemble constituant le Root Extracellular Trap (RET).
Les exsudats quant à eux rassemblent plus largement les molécules sécrétées par l’ensemble du système racinaire. Ces composés sécrétés dans la rhizosphère et progressivement lessivés dans le sol ont été longtemps mésestimés alors que leurs fonctions biologiques sont réellement importantes.
Les exsudats racinaires et les mucilages produits par le RET renferment une grande diversité de molécules de bas poids moléculaire (oligosaccharides, acides organiques, métabolites spécialisés) et de haut poids moléculaire : enzymes, protéines antimicrobiennes, glycomolécules, ou encore ADN extracellulaire.
Les fonctions biologiques des exsudats racinaires dans les interactions plantes-microorganismes sont très variées. Certains composés sont impliqués par leurs activités antimicrobiennes dans la défense racinaire contre de nombreux pathogènes (champignons, oomycètes, bactéries, nématodes).
D’autres jouent un rôle important dans les interactions positives qu’ont les racines des plantes avec les microorganismes de la rhizosphère (recrutement des partenaires mycorhiziens ou attraction de rhizobactéries promotrices de la croissance des plantes).
Enfin, on attribue aux cellules frontières et leurs mucilages très hydrophiles des rôles dans la protection des racines contre le stress hydrique ou dans le piégeage des métaux lourds.
Les mucilages et exsudats racinaires qui représentent une partie non négligeable du carbone (10 à 40 % selon les espèces) fixé par les plantes lors de la photosynthèse sont donc la source d’une grande variété de composés potentiellement utilisables à des fins cosmétiques en tant que conservateurs ou protecteurs du microbiote cutané.
Les études préliminaires au LBLGC ont montré que le peuplier noir, par sa richesse en cellules frontières et mucilages, sa croissance rapide et sa facilité de culture en laboratoire était un bon candidat à des fins de sourcing.
Le travail collaboratif mené avec le laboratoire GlycoMEV (UR 4358) de l’université de Rouen Normandie, partenaire ayant une grande expertise dans la caractérisation des glycomolécules (polysaccharides, glycoprotéines) de diverses matrices végétales, a permis d’identifier au moyen de méthodes immunocytochimiques les principales glycomolécules présentes dans les mucilages et les cellules frontières du peuplier noir.
Une démarche de sourcing végétal biotechnologique
Différentes méthodes innovantes de culture en environnement contrôlé permettent dorénavant de collecter de façon reproductible et en quantité les exsudats racinaires afin d’en étudier la nature et les propriétés : cultures hors-sol hydroponiques ou aéroponiques, systèmes de culture in vitro impliquant une immersion temporaire des racines ou culture de chevelus racinaires en bioréacteurs.
Ces technologies permettent la multiplication d’une biomasse génétiquement homogène à tout moment de l’année en s’affranchissant des aléas climatiques. Les prélèvements dans le milieu naturel sont de fait très limités et sans impact sur la biodiversité. Des procédés de culture ont ainsi été mis en œuvre au sein du LBLGC durant ce projet avec le soutien des personnels recrutés (chercheure post-doc, ingénieure d’étude) :
- Développement et optimisation de systèmes de culture en hydroponie et en aéroponie de boutures ligneuses de peuplier noir. Cette technologie permet la culture de plantes sans substrat solide mais dans une solution minérale adaptée, afin de faciliter la collecte ultérieure des exsudats. Les résidus secs obtenus après lyophilisation peuvent faire l’objet de diverses analyses.
- Système de culture alternatif in vitro de chevelus racinaires (hairy roots) de peuplier obtenus après transformation par Agrobacterium rhizogenes. Les chevelus racinaires de peuplier obtenus par cette technologie peuvent croître et être multipliés indéfiniment en condition axénique en milieu liquide agité. Une montée en échelle de la production est à l’étude, par la culture en petits bioréacteurs à immersion temporaire (système RITA®), qui présentent l’intérêt de favoriser une meilleure croissance tout en limitant les problèmes d’anoxie. Ces dispositifs sont déjà utilisés dans l’industrie pour la multiplication de plantes in vitro. Leur utilisation pour la culture et la production de biomasse racinaire est en revanche peu documentée et présente un caractère innovant, en particulier pour une espèce ligneuse. Dans cette approche, les extraits racinaires sont l’objet de tests d’activités biologiques.
Des analyses en cours prometteuses
La caractérisation phytochimique des extraits racinaires issus de hairy roots ainsi que des exsudats issus de culture hydro- ou aéroponique est en cours, en collaboration avec l’ICOA (Equipe Stratégies Analytiques, Affinités et Bioactifs, Plateforme de Techniques d’Analyse).
Les premières analyses des extraits de hairy roots ont révélé la présence de composés précédemment décrits dans la littérature (composés phénoliques, lignanes, flavonoïdes) et présentant des activités biologiques antioxydantes, anti-inflammatoires et antimicrobiennes.
Des tests colorimétriques ont été réalisés afin d’attester de l’activité antioxydante (DPPH, FRAP) ainsi que des contenus en composés phénoliques et flavonoïdes. Ces résultats préliminaires sont prometteurs car ils laissent entrevoir l’utilisation des cultures racinaires de peuplier comme source de molécules bioactives.
Les travaux menés en partenariat avec l’entreprise GLYcoDiag permettront d’objectiver le potentiel de conservateur des exsudats et des extraits racinaires de peuplier en étudiant, au moyen de la technologie du microchallenge test, leurs propriétés bactéricides, bactériostatiques et antifongiques. Des tests d’activités prébiotiques seront également envisagés.
Le LBLGC dispose maintenant de l’expertise et des installations pour développer des procédés de cultures biotechnologiques hors-sol, en environnement contrôlé destinés à la production d’exsudats et d’extraits racinaires. L’étude des paramètres influant la production de ces molécules et des voies de signalisation impliquées pourra permettre de mieux contrôler la production de ces molécules. Ces travaux réalisés sur le peuplier pourraient à l’avenir être transposés à d’autres modèles de plantes d’intérêt, cultivées ou sauvages, dans le cadre de la valorisation de composés à des fins cosmétiques mais aussi pharmaceutiques.
Équipe ARD CVL COSMÉTOSCIENCES
cosmetosciences@univ-orleans.fr
Frédéric Lamblin (LBLGC - Equipe Signalisation, Université d'Orléans , 1 rue de Chartres - BP 6759 , 45067 ORLEANS Cedex 2, frederic.lamblin@univ-orleans.fr )
Cosmetosciences, financé par la région Centre-Val de Loire, valorise les partenariats entre académiques et industriels de la filière cosmétique. Le projet Cosmetopop porte en premier lieu sur l’identification de nouvelles molécules actives issues du compartiment racinaire de peuplier, peu étudié à ce jour chez cette plante modèle, et la découverte de propriétés très recherchées actuellement pour la filière cosmétique.
Photo de couverture : Landon Parenteau sur Unsplash