Le Covid-19 met en péril le dépistage néonatal
Publié par Université de Tours, le 7 avril 2020 1.4k
Directeur équipe recherche Education Ethique Santé (EA7505), Université de Tours
Le confinement affecte la plupart des services administratifs en France – qui comptent sur la dématérialisation pour assurer la liaison avec les usagers. La Poste n’est pas épargnée. L’entreprise anciennement administrée par l’état français est devenue une « société anonyme à capitaux publics en 2010 ».
Le groupe La Poste reste par ailleurs chargé de quatre missions de service public parmi lesquelles la mission du « service postal universel », qui comprend notamment une levée et distribution des courriers et colis assurées six jours sur sept sur l’ensemble du territoire national à des prix abordables pour tous les utilisateurs. Ce rôle de prestataire du « service postal universel » a été confirmé par la loi du 9 février 2010 pour une durée de quinze ans soit jusqu’en 2025.
Cette mission de service public est aujourd’hui sérieusement affectée par la crise sanitaire. Partout en France, relève et distribution des courriers ne sont plus assurées, les centres de tri ralentis, les bureaux de poste fermés. Ces retards sont particulièrement inquiétants pour un autre service, passé sous silence : le programme national de dépistage néonatal.
Le dépistage néonatal, un enjeu sanitaire
Le dépistage néonatal concerne en France toutes les naissances soit, chaque année, environ 750 000 nouveau-nés. Les tests de dépistage permettent de détecter certaines maladies qui ne sont pas visibles à la naissance, mais qui peuvent avoir des conséquences sérieuses chez les enfants atteints, s’ils ne sont pas traités très rapidement. Cinq maladies sont actuellement dépistées : phénylcétonurie, hypothyroïdie congénitale, hyperplasie congénitale des surrénales, mucoviscidose et drépanocytose.
Sans dépistage, l’enfant risque de ne pas être reconnu comme pouvant être malade et ne pas être traité en temps utile. Les résultats de ce dépistage sont ainsi très importants. En effet, les enfants atteints de l’une de ces cinq maladies bénéficient d’un accompagnement et d’un traitement dès leurs premières semaines de vie. Cette prise en charge très précoce permet à la plupart de ces enfants de grandir et de se développer normalement.
En 2019, comme chaque année, près de 1 000 enfants ont été confirmés malades après un dépistage « positif » et ont pu ainsi bénéficier d’une prise en soins efficace et adaptée, évitant décès précoce, handicap ou retard au développement.
La Poste acteur clef du circuit sanitaire
Le dépistage néonatal, fortement recommandé, repose sur un prélèvement de quelques gouttes de sang, pratiqué au 3e jour après la naissance, par piqûre au talon de l’enfant et recueilli sur un papier buvard, après consentement des parents, par un professionnel de santé de la maternité (près de 500 maternités), ou parfois par la sage-femme lors d’un retour précoce à domicile.
Les buvards sont ensuite placés dans des enveloppes, puis acheminés, de principe, par courrier postal vers le Centre régional du dépistage néonatal (CRDN) ou, lorsqu’il existe, par un système de navettes entre hôpitaux. Les analyses sont ensuite effectuées par un ou des laboratoires de biologie médicale. C’est ici que l’arrêt ou le retard de l’acheminement des buvards par La Poste met en danger le dépistage néonatal et la santé des enfants concernés. De la rapidité avec laquelle les tests sont réalisés, quelques jours pour certaines des maladies dépistées, dépendent les conséquences sur la santé des enfants atteints.
Des premières alertes aux solutions mises en œuvre
Dès le 17 mars, des CRDN ont alerté par mail et contacts directs les Agences régionales de santé et le Centre national de coordination du dépistage néonatal (CNCDN) : les buvards n’arrivent plus en nombre habituel aux CRDN.
Les raisons en sont multiples : boîtes aux lettres non relevées, exercice d’un droit de retrait des équipes d’un centre de tri, non-distribution des courriers à partir du centre de tri.
Le CNCDN et les services du Ministère des Solidarités et de la Santé sont intervenus, séparément puis lors de réunions communes, au niveau national auprès du Groupe La Poste, pour tenter de résoudre le problème. Après une semaine d’échanges, Le Groupe La Poste a cependant confirmé l’absence de solution possible et pérenne par le circuit postal habituel.
Le recours à des prestataires « privés » de transport de courriers pourrait être envisageable mais cela ne sera pas effectif sans délai de mise en place ni sans coût additionnel (de quelques centimes à plusieurs dizaines d’euros par enveloppe).
Le déplacement volontaire de professionnels de santé ? Ils devront alors apporter les buvards depuis les maternités ou depuis les cabinets de sages-femmes vers le CRDN ajoutant des tâches en cette période d’épidémie. La réquisition des personnels de la Poste ? Est-ce juridiquement possible, opérationnellement faisable et politiquement acceptable ?
L’implication sans faille des professionnels de santé
Les difficultés rencontrées soulignent l’importance de la coordination et de la complémentarité de tous les acteurs, soignants ou non soignants. Dans l’urgence, en cette fin du mois de mars 2020, les CRDN et les professionnels de santé cherchent et mettent en place, au mieux, territoire par territoire, maternité par maternité, les solutions d’acheminements des buvards au nombre de 60 000 chaque mois. Il s’agit à la fois « de rattraper » des buvards bloqués au cours de ces derniers jours et « d’organiser » un nouveau circuit d’acheminement robuste et exhaustif des buvards pour les semaines à venir.
Pour l’heure, grâce à l’implication des professionnels de santé et à la grande solidarité du monde de la santé, la plupart des nouveau-nés ont pu bénéficier de ces dépistages mais nous devons être vigilants pour maintenir coûte que coûte ce système.
Une fois l’épidémie de COVID-19 maîtrisée, il conviendra d’en tirer tous les enseignements. Ceci est d’autant plus nécessaire que l’élargissement du dépistage néonatal à de nouvelles maladies est d’ores et déjà engagé pour une sixième maladie et recommandé pour sept autres maladies, soit 13 au total.
Cet article a été rédigé avec le Professeur Frédéric Huet, CHU Dijon Bourgogne, Président de la Société française du dépistage néonatal (SFDN), le Dr. David Cheillan, Hospices Civil de Lyon, Président de la Commission nationale de biologie du dépistage néonatal, Dr Diane Dufour CHU Tours, Centre national de coordination du dépistage néonatal (CNCDN), Dr Paul Brégeaut, CHU Tours, Centre national de coordination du dépistage néonatal (CNCDN).
Cet article est republié à partir de The Conversation. Lire l’article original.