Egalité professionnelle : des barrières invisibles sur le chemin
Publié par Lindsay Georges, le 11 octobre 2017 1.7k
Egalité professionnelle : des barrières invisibles sur le chemin
Elise Bonneveux, Université François-Rabelais de Tours; Franck Gavoille, ESSCA École de Management; HULIN Annabelle, Université François-Rabelais de Tours; Lindsay Georges, Université François-Rabelais de Tours et Typhaine Lebègue
Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la Science 2017, qui se tient du 7 au 15 octobre, et dont The Conversation France est partenaire. Retrouvez tous les débats et les événements de votre région sur le site Fetedelascience.fr.
En France, tous les métiers sont désormais légalement accessibles aux femmes.
Ainsi, cette année, pour la première fois, des femmes autorisées à intégrer des équipages de sous-marins de l’armée française partiront en mission.
Depuis 2015 également, les femmes peuvent devenir sous-officiers des escadrons de gendarmerie mobile, une carrière qui leur avait été jusque-là interdite.
Avec la disparition de ces deux derniers « bastions » exclusivement masculins, les femmes ont désormais la possibilité d’exercer la totalité des métiers accessibles à leurs homologues masculins.
Mais dans ce cas, pourquoi parle-t-on encore tant des inégalités au travail et de la discrimination envers les femmes ? Ces inégalités ne sont-elles pas amenées à disparaître progressivement, avec l’entrée des nouvelles générations sur le marché du travail ?
S’il est indéniable que de nombreux progrès ont été faits depuis les années 1960, rappelons que la ségrégation professionnelle a commencé à diminuer seulement depuis trente ans.
Des inégalités demeurent
Selon l’Organisation internationale du travail, le salaire horaire des femmes en France en 2017 reste encore inférieur de 16 % à celui des hommes. Et selon l’économiste Thomas Piketty au rythme actuel des évolutions, l’égalité salariale entre les femmes et les hommes chez les plus hauts salaires ne sera atteinte… qu’au début du XXIIe siècle.
La répartition des salaires féminins est à ce titre, particulièrement éloquente : les femmes ne représentent que 20 % des rémunérations les plus élevées, contre 80 % des plus bas salaires. Pourquoi une telle différence ? Quels sont les facteurs explicatifs ?
Dès la formation, des différences apparaissent : alors que les femmes sont surreprésentées dans les études supérieures, elles restent néanmoins minoritaires dans les sciences « dures » et les filières les plus prestigieuses, qui mènent aux métiers les plus rémunérateurs.
Une fois dans la vie active, les femmes sont massivement présentes mais se retrouvent principalement dans un nombre limité de secteurs : l’éducation, la santé et l’action sociale, le commerce, les administrations et les services aux particuliers et aux entreprises. Ces cinq secteurs concentrent ainsi 80 % des femmes actives.
Parallèlement, les hommes, même s’ils sont surreprésentés dans certains secteurs, se répartissent dans plus de métiers différents. En 2011, on compte 44 métiers à dominance masculine contre 23 métiers à dominance féminine.
Mais même dans les métiers dits mixtes, des difficultés demeurent, les plus flagrantes étant le « plafond de verre » : plus on monte dans la hiérarchie, plus la part de femmes baisse. Par exemple, dans la fonction publique française, si 62 % des agents sont des femmes, seulement 40 % des catégories A+ (postes à responsabilités) sont occupés par des femmes, et 33 % des postes se trouvent dans les corps et emplois d’encadrement (ESD). Si l’on observe la part de femmes occupant des postes plus prestigieux, seules 16 % sont ambassadrices et 11 % préfètes.
Discriminations invisibles
Comment expliquer cet écart ? Peut-être cela reflète-t-il un choix. En effet, il est possible d’argumenter que les femmes préfèrent les métiers liés au care ou se positionnent sur des postes à faible niveau de responsabilités. Les forcer à se tourner vers d’autres métiers ou à solliciter une promotion qu’elles ne souhaitent peut-être pas afin d’obtenir une égalité dans les chiffres serait ainsi artificiel.
En réalité, une partie des « choix » effectués par les femmes ne sont pas véritablement libres de toutes contraintes et demeurent influencés par des facteurs externes.
Ainsi, encore aujourd’hui, au sein d’un couple, les contraintes familiales sont plus fortes chez les femmes que chez les hommes, cela d’autant plus que le nombre d’enfants du couple est important. Malgré une baisse significative du poids des tâches ménagères en 25 ans, les femmes continuent à s’en occuper plus que les hommes : 3h26 pour les femmes contre 2h pour les hommes. Et ce, même lorsque les deux conjoints travaillent.
Par ailleurs, les métiers fortement féminisés, associés à des valeurs dites « féminines » restent souvent sous-valorisés au sein de la société, notamment les métiers liés au soin et à la prise en charge des enfants et des adultes dépendants.
Ce n’est ainsi pas la différence d’un point de vue statistique mais bien le manque de reconnaissance de ces emplois qui pose problème.
Par exemple, les qualités inhérentes à ces métiers (empathie, soin aux autres, coopération..) sont considérées comme naturelles pour les femmes, ne nécessitant pas d’effort et ne sont donc pas valorisées professionnellement. Si elles sont reconnues comme désirables, elles ne sont pas évaluées comme aussi utiles socialement que les caractéristiques associées à la masculinité.
Pire elles sont dévalorisées dans certaines situations, notamment dans l’accès aux postes à responsabilités où l’on va accorder plus d’importance aux valeurs dites « masculines » comme la puissance ou l’autorité.
Ces barrières invisibles empêchent les femmes de choisir les métiers qu’elles souhaitent réellement exercer ainsi que leur promotion à des postes clefs.
Au-delà de la distinction de genre
Loin de simplement refléter la société, le monde professionnel participe ainsi activement à la production des inégalités.
L’enjeu ici n’est pas de « transformer » les femmes en hommes, d’atteindre coûte que coûte une égalité statistique… mais bien de reconnaître la valeur de tous les métiers et de dépasser cette vision binaire féminin/masculin.
Il s’agit tout simplement de permettre à chacun de s’investir dans le domaine de son choix sans jugement de valeur. Car les stéréotypes qui pèsent sur les choix des femmes se retournent aussi parfois contre les hommes qui souhaitent faire un autre choix de vie et par exemple se consacrer davantage à leur vie familiale.
Aujourd’hui, les limites des politiques gouvernementales dans la lutte des inégalités nous amènent à remettre en question l’échelle d’action.
Pour poursuivre dans cette dynamique, pourquoi ne pas mettre en place des actions à un niveau territorial ?
Dans une logique de mutualisation des moyens et d’approche globale du problème, nous pensons que l’échelle territoriale est idéale pour proposer des actions inter-organisationnelles et collectives afin de continuer à avancer sur le chemin de l’égalité professionnelle…
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.