Déclin des insectes pollinisateurs : comprendre les causes pour mieux protéger et conserver
Publié par Centre INRAE Val de Loire, le 13 octobre 2017 2.9k
Recherches en cours sur les insectes pollinisateurs et les plantes nectarifères : explications de Mathilde Baude, enseignante-chercheuse en écologie, Université d’Orléans, laboratoire de Biologie des Ligneux et des Grandes Cultures (LBLGC), unité sous contrat de l’Inra.
Le déclin des insectes pollinisateurs touche l’abeille domestique et bien d’autres espèces d’insectes pollinisateurs. Parmi ceux-ci, on compte en effet près de mille espèces d’abeilles sauvages en France, auxquelles s’ajoutent les espèces d’autres groupes (syrphes, papillons…). Par leur activité de butinage, l’ensemble de ces insectes participe à la pollinisation des cultures et des plantes sauvages. Leur déclin peut se traduire par une baisse de rendement des cultures, mais peut aussi impacter la biodiversité dans son ensemble. Nos recherches portent sur l’évaluation de l’état des populations de pollinisateurs, les causes impliquées dans leur déclin (pesticides, changements d’utilisation des terres, urbanisation, espèces exotiques), et les conséquences de celui-ci. Parmi les pressions multiples impliquées dans le déclin des pollinisateurs, la raréfaction des ressources florales est souvent mentionnée. Elle est due aux changements paysagers (perte d’habitats naturels, destruction des haies, agriculture intensive). Cependant, les preuves scientifiques du lien de causalité entre ces deux facteurs sont rares, notamment à cause de l’absence de données quantitatives estimant la valeur nectarifère des plantes à fleurs.
Lors d’un séjour post-doctoral à l’université de Bristol (Royaume-Uni), j’ai travaillé à la réalisation d’une base de données de ressources florales, la plus complète à ce jour. Sur le terrain, j’ai collecté et analysé la production de nectar et de pollen et la densité florale pour plus de 200 espèces de plantes sauvages. Afin d’étudier les variations spatiales et temporelles de la production de nectar, j’ai couplé cette base de données avec des suivis de végétation et des cartes d’utilisation des terres répétés au cours du temps sur toute l’Angleterre. L’approche originale qui consistait à coupler des observations fines de terrain avec des données à large échelle (parfois issues de données satellites) était un vrai challenge !
Nous avons été surpris de constater qu’un nombre très limité d’espèces participe massivement à la production de nectar à l’échelle nationale (trèfles, bruyères, chardons). C’est un rappel fascinant quant au rôle des espèces très communes dans la réalisation de services écosystémiques vitaux.
A l’échelle du paysage, les zones cultivées, ou habitats agricoles, apparaissent comme très pauvres en terme de quantité de nectar, mais aussi en terme de diversité des sources de nectar, alors que les éléments paysagers linéaires tels que les haies peuvent contribuer significativement à la production de nectar dans ce type d’habitat. Enfin, les données historiques de changements d’utilisation de terres montrent que, malgré une récente stabilisation, les ressources en nectar ont clairement diminué au cours du dernier siècle à l’échelle nationale.
Ce travail permettra d’établir des listes de plantes nectarifères à privilégier pour les pollinisateurs, et d’étudier l’importance des mauvaises herbes dans l’approvisionnement en nectar des pollinisateurs dans les agrosystèmes !
LE PROJET POLLEN 2016-2018
Propos recueillis auprès de Mathilde Baude :
"A Orléans, je viens d’entamer un suivi des communautés d’insectes pollinisateurs le long de la Loire qui traverse des zones urbaines, péri-urbaines et semi-naturelles dans le cadre d’un projet de la région Centre-Val de Loire, en collaboration avec l’Irbi de l’université de Tours, l’Irstea, l’Inra et des partenaires socio-économiques et associatifs de la région. En capturant les insectes avec des pièges colorés, nous étudions l’impact de l’urbanisation sur les communautés d’abeilles, et nous cherchons à savoir quelles sont les espèces qui sont particulièrement sensibles aux effets de l’urbanisation. Un des challenges de ce projet est d’utiliser des outils de barcoding et meta-barcoding, méthodes d’identification moléculaire basée sur la comparaison de séquences précises d’ADN, qui permettraient des avancées majeures dans les études de la biodiversité des insectes pollinisateurs. Enfin, en alliant des compétences en neuro-écologie et écotoxicologie du laboratoire, nous envisageons d’étudier les traces de molécules toxiques (ex : néonicotinoïdes, perturbateurs endocriniens) que l’on pourrait retrouver dans les différentes espèces d’abeilles capturées dans divers habitats étudiés. L’objectif de cette étude est de mieux participer à la conservation de la biodiversité des pollinisateurs."
Financement de la région Centre-Val de Loire (projet Pollen 2016-2018)
MATHILDE BAUDE
Mathilde Baude, enseignante-chercheuse en écologie à l'université d'Orléans, effectue ses recherches au sein de l'équipe Entomologie et biologie intégrée du LBLGC. Son travail de recherche s'inscrit dans le domaine de l'écologie des communautés et porte en particulier sur l'impact des changements globaux sur les interactions entre les plantes et les insectes pollinisateurs en milieu semi-naturel, agricole et urbain.
Distinction : L'article paru dans la prestigieuse revue internationale Nature en 2016 a été primé comme "Best paper of the year in conservation sciences" par le RSPB, Royal Society for Protection of Birds, qui milite pour la protection des espèces et des espaces au Royaume-Uni.
Référence : Mathilde Baude, William E. Kunin, Nigel D. Boatman, Simon Conyers, Nancy Davies, Mark A.K. Gillespie, R. Daniel Morton, Simon M. Smart & Jane Memmott, 2016, Historical nectar assessment reveals the fall an rise of floral resources in Britain, Nature, Vol. 530, No. 7588. doi : 10.1038/nature16532
LE LBLGC
Le laboratoire de Biologie des Ligneux et des Grandes Cultures (LBLGC), unité sous contrat de l’Inra, a été créé en 1996 et, historiquement, regroupe tous les enseignants-chercheurs de l’université d’Orléans du pôle biologie et biochimie travaillant en physiologie végétale, en entomologie et biologie animale, soit 43% de l’effectif du pôle. Les recherches du laboratoire sont organisées autour de deux visions scientifiques. D’une part, un groupe de chercheurs travaille sur les interactions plante-insecte et l’adaptation des insectes aux changements globaux. D’autre part, un autre groupe de chercheurs se consacre aux questions liées à la réponse des arbres aux contraintes hydriques et environnementales. Le LBLGC est une unité de recherche de l’université d’Orléans qui dépend du département Écologie des forêts, prairies et milieux aquatiques (EFPA) de l'Inra sous forme d’unité sous contrat (USC) et qui comprend 23 enseignants-chercheurs et autant de techniciens, ingénieurs, post-doctorants et thésards. Le LBLGC accueille également chaque année plus d’une douzaine d’étudiants de niveau master pour des stages. Ce personnel est réparti sur deux sites, l’antenne universitaire de Chartres et l’UFR sciences et techniques à Orléans (Campus de La Source), ce qui représente quatre équipes de recherche.
En savoir plus : site du LBLGC