De nouvelles molécules anti-infectieuses dans l’œuf

Publié par Centre INRAE Val de Loire, le 9 octobre 2017   3.9k

Des projets soutenus par la région Centre-Val de Loire ont permis d’approfondir la caractérisation de certaines protéines anti-infectieuses de l’œuf et d’identifier de nouveaux candidats. Le point avec Sophie Réhault-Godbert.

De quelles hypothèses êtes-vous partis ?

Sophie Réhault-Godbert : L’œuf est une enceinte close qui contient tous les éléments essentiels à l’embryon, pour sa nutrition, mais aussi pour sa protection. Parmi les systèmes de défense, outre la coquille, on trouve de nombreuses molécules antimicrobiennes, notamment dans le blanc d’œuf et dans la membrane vitelline, une membrane protéique qui entoure le jaune d’œuf (voir figure). Sur les 900 protéines identifiées dans l’œuf, près de 90 sont prédites pour participer à la défense de l’œuf, parce qu’elles présentent des analogies avec des molécules antimicrobiennes connues. La fonction biologique de la plupart des protéines de l’œuf reste à explorer. Actuellement, seules une dizaine d’entre elles ont un rôle caractérisé comme source de nutriments pour l’embryon, comme molécules antimicrobiennes, comme molécules angiogéniques (développement des vaisseaux sanguins) et participent à ce titre à différents aspects du développement embryonnaire. Tout cela suggère que l’œuf est un gisement de protéines ayant potentiellement des actions anti-infectieuses, mais également anticancéreuses et anti-inflammatoires.

Qu’avez-vous trouvé ?

S. R-G : Nous nous sommes intéressés à une dizaine de peptides et protéines qui paraissaient les plus pertinents (1). En particulier, l’OVAX, un homologue de l’ovalbumine, et AVBD11, une petite protéine concentrée dans la membrane vitelline, dont nous avions précédemment caractérisé les activités antibactériennes contre Listeria et Salmonella, deux bactéries responsables de toxi-infections alimentaires (2). Nous nous étions alors focalisés sur l’activité antibactérienne, avec l’objectif de développer des molécules alternatives aux antibiotiques. Pour l’instant, en effet, il n’y a pas de cas de bactéries résistantes à ces protéines d’œuf. Nous avons poursuivi la caractérisation de ces deux premiers candidats en explorant leurs activités antivirales, antiparasitaires, anti-inflammatoires, anticancéreuses et cytotoxiques in vitro. Nous avons mis en évidence en particulier des actions contre des parasites (Eimeria) et contre le virus H1N1 aviaire. Nous avons aussi élargi l’approche à trois autres candidats extraits de l’œuf (Pléiotrophine, Vmo1, Bmsp) afin d’évaluer leur potentiel comme agents anti-infectieux et anti-cancéreux.

Molécule de l'oeuf : représentation de type "cartoon" de la structure 3D de la protéine antibactérienne OVAX (hélices alpha en vert, brins beta en orange et boucles en gris). © CNRS, Franck Coste


Quelles sont les perspectives ?

S. R-G : L’étape suivante sera de développer des techniques de purification afin d’obtenir ces protéines en quantité suffisante pour valider leurs effets dans des modèles animaux d’infection ou de cancer. Nous développons en parallèle un projet plus spécifique sur AvBD11 (3). Nous souhaitons résoudre sa structure tridimensionnelle pour étudier les relations structure-fonction. Nous ferons ce travail pour différentes espèces d’oiseaux, terrestres comme la poule, ou aquatiques comme la cane, pour analyser comment cette protéine a évolué en fonction des modes de vie et des biotopes des oiseaux. En parallèle, nous explorerons la résistance de l’AvBD11 de poule et de cane à la protéolyse, à la chaleur et au pH afin à terme, d’adapter les modes d’administration pour évaluer leur efficacité in vivo.

Vous vous intéressez aussi au développement de l’embryon ?

S. R-G : Oui, car ces défenses sont toutes modifiées au cours du développement de l’embryon d’oiseau. La température d’incubation, l’apparition de structures extra-embryonnaires, telles que le sac vitellin et les sacs amniotique et allantoïque et le transfert des molécules entre ces structures peuvent altérer l’activité de ces molécules bioactives ou au contraire révéler l’activité latente de certaines d’entre elles. Nous explorons donc en parallèle l’évolution de ces différents systèmes de défense au cours du développement embryonnaire (4). La caractérisation des protéines et peptides de ces nouvelles structures pourrait nous permettre d’enrichir notre liste de molécules aux activités potentiellement valorisables en santé humaine notamment.

Schéma de l’intérieur de l’œuf. L’embryon se développe en 21 jours. Trois sacs se forment à partir de l’embryon : le sac vitellin, très vascularisé, entoure le jaune et assure le transport de nutriments du jaune vers l’embryon. Le sac amniotique constitue une enveloppe protectrice autour de l’embryon pour le protéger des chocs mécaniques et de la déshydratation. Le sac allantoïque se forme sous la coquille et permet la respiration, la solubilisation du calcium de la coquille pour constituer le squelette de l’embryon et une protection contre les agents pathogènes. © Inra, Mylène Da Silva

1) Projet MUSE (Medicinal Use of Eggs) 2014-2016, Région-Centre Val de Loire (2) Deux publications (2010, 2013) et un brevet (2011) (3) Projet SAPHYR-11 (2017-2019), Région Centre-Val de Loire (4) Thèse de Mylène Da Silva (2014-2017) et projet Le Studium Research Professorship Région Centre-Val de Loire/Université d’Ottawa (2018-2022).

Pour en savoir plus

Reportage de France 3 Centre-Val de Loire auprès de l'équipe Défenses de l’Oeuf, Valorisation, Evolution (DOVE) le 5 octobre 2017... >> Voir les vidéos sur Francetvinfo.fr


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Centre Inra  Val de Loire
RÉFÉRENCE
Guyot N, Labas V, Harichaux G, Chessé M, Poirier JC, Nys Y, Réhault-Godbert S. 2016. Proteomic analysis of egg white heparin-binding proteins: towards the identification of natural antibacterial molecules. Sci Rep. 2016 Jun 13;6, 27974. doi:10.1038/srep27974.

LE LYSOZYME DU BLANC D’ŒUF

Le lysozyme est une petite protéine bien connue qui présente un spectre d’activité antibactérienne large. Il n’est pas spécifique de l’œuf, on le retrouve dans toutes les espèces y compris chez l’humain. Sa forte concentration dans le blanc d’œuf (2 mg par ml) en fait une source facile d’extraction non invasive. Il est utilisé dans certains médicaments contre les maux de gorge, comme la lysopaïne, et également comme conservateur alimentaire (additif E1105).

UN PROJET FÉDÉRATEUR MULTISITE
Le projet MUSE (2014-2016), coordonné par Sophie Réhault-Godbert, s’inscrit dans la dynamique de l’ARD2020 Biomédicaments (1).  Le projet SAPHYR-11 (2017-2019), Initiative Académique, Région Centre Val de Loire, est coordonné par Nicolas Guyot. Il est focalisé sur l’AvBD11, un peptide très actif.  Ces projets rassemblent des partenaires de recherche de 11 équipes  qui impliquent environ 40 personnes en région Centre-Val de Loire :
  • CNRS : Centre de Biophysique Moléculaire d’Orléans
  • Université de Tours, Inserm : Centre d’Etude des Pathologies Respiratoires
  • Inra : 3 unités du centre Inra Val de Loire : Unité de Recherches Avicoles, UMR Infectiologie et Santé Publique, UMR Physiologie de la Reproduction et des Comportements.

(1) Le programme ARD2020 (Ambition Recherche et Développement 2020) a pour vocation de mobiliser tous les acteurs de la filière pharmaceutique, de la recherche fondamentale jusqu’à la production, pour développer ensemble les biomédicaments de demain.