Covid-19 et enfants : "comprendre la maladie chez les enfants aidera aussi les adultes"
Publié par Université de Tours, le 12 mai 2020 1.1k
PU-PH, Professeur de Pédiatrie, Inserm UMR 1069 "Nutrition, Growth Cancer" & Inserm F-CRIN PEDSTART, Université de Tours, CHU de Tours, Inserm
Professeur des Université en pédiatrie, chef du service de pédiatrie générale et des urgences pédiatriques, hôpital Mère Enfant, CHU Nantes, Université de Nantes
Crèches, écoles collèges et lycées vont progressivement rouvrir dans les prochains jours. Dans un entretien en deux volets, les professeurs de pédiatrie Christèle Gras-Le Guen, vice-présidente de la société française de pédiatrie, et Régis Hankard, coordonnateur du réseau de recherche clinique pédiatrique Pedstart, font le point sur ce que l’on sait des conséquences de la maladie chez les enfants, ainsi que sur les enjeux de la recherche clinique en pédiatrie.
The Conversation : pourquoi la recherche clinique en pédiatrie est-elle nécessaire ?
Régis Hankard : Elle est essentielle, car l’enfant n’est pas un adulte en miniature. Le métabolisme n’est pas du tout le même selon qu’on est adulte ou enfant. Ce qui caractérise un enfant c’est sa croissance, qui est extrêmement importante. Cela a des implications au plan nutritionnel : les enfants ont besoin de beaucoup plus de nutriments que les adultes pour assurer la croissance, le développement de leurs organes, etc.
Ces différences sont particulièrement marquées chez les tout petits. La proportion d’eau est beaucoup plus importante chez les petits enfants que chez les adultes. La masse grasse est quant à elle très faible au début, puis elle augmente avec l’âge. Autrement dit, les compartiments de l’organisme évoluent, changent à mesure que l’on vieillit. Le fait que la proportion de certains tissus, comme le tissu adipeux, augmente a des implications, par exemple en ce qui concerne les médicaments qui se diluent dans le gras : ils ne le feront pas de la même façon chez les adultes et chez les enfants.
Ce point est à prendre en considération quand on veut adapter au plus juste les doses d’un traitement. Or un grand nombre de médicaments n’ont pas fait l’objet d’une approche spécifique pour l’enfant lors de leur mise au point. Ainsi à l’hôpital, je dirais que plus de 50 % des médicaments qu’on utilise (par exemple en réanimation ou dans des pratiques très spécialisées) n’ont pas véritablement fait l’objet de développement pédiatrique.
Ce n’est pas pour autant qu’ils sont dangereux, mais quand on donne un médicament il est important de donner la dose optimale par rapport à l’âge, au sexe, par rapport à la croissance, etc. Or on ne s’est pas toujours posé la question de valider les doses administrées aux enfants, ce sont les soignants qui doivent s’en charger. Et il en est de même pour la galénique ! Il est hors de question de donner des comprimés à des nourrissons quand bien même leurs doses seraient compatibles avec la physiologie du nouveau-né…
C’est pour cela qu’il est pertinent de mener les recherches cliniques sur des groupes de patients spécifiques. Et encore, il ne s’agit là que des spécificités « physiologiques ». Il faut aussi considérer le rapport différent à la maladie, la psychologie liée à l’âge comme à l’adolescence. C’est un point très important à prendre en compte, car même si un adolescent est physiologiquement proche d’un adulte, ses problématiques ne sont pas les mêmes au cours de cette période charnière.
Tout-petits, enfants, adolescents, tout âge a ses spécificités et il est important de tenir compte du développement général des jeunes concernés.
TC : existe-t-il des spécificités à la recherche clinique pédiatrique, des freins spécifiques ?
RH : On est encore plus attentif que chez l’adulte aux dimensions de douleur, de volume de prélèvements, de respect de la décision des parents… La voix des enfants et des parents prend une place croissante dans la recherche clinique pédiatrique, tout particulièrement dans notre réseau F-CRIN PEDSTART. Elle est organisée au sein de groupes nationaux qui forment des patients experts, parents et enfants. Il s’agit non seulement de leur fournir des informations adaptées, mais aussi de les impliquer dans la conception des études, dans les analyses, dans leur communication… Cela change la façon dont on pose les questions dans une recherche, c’est vraiment important. KIDS-France anime cette action et organise d’ailleurs la prochaine réunion internationale des « KIDS ».
Un point intéressant que l’on avait mis en évidence, grâce à une étude menée avec des sociologues, est que l’investigateur lui-même était un des freins à la recherche, particulièrement chez l’enfant.
En effet, si en tant que pédiatre vous traitez des malades chroniques, vous connaissez vos patients depuis tout-petits. Au moment d’inclure dans une étude clinique ces enfants que vous suivez depuis si longtemps, vous risquez d’avoir un problème, de considérer que cela pourrait rajouter une complication, quand bien même ne serait-elle que logistique, dans la vie de ces petits patients qui sont déjà passés par tant de choses. Dans ce genre de situation, l’échange avec les parents ou les enfants eux-mêmes peut débloquer la situation.
TC : Quand a-t-on commencé à réaliser qu’il fallait une recherche clinique en pédiatrie ?
RH : Ce n’est pas si récent. En France, l’Inserm a créé le premier centre d’investigation clinique pédiatrique en mai 1992 à l’hôpital Robert Debré, en même temps que se montait le premier centre d’investigation clinique adulte, à l’hôpital Broussais. La recherche clinique pédiatrique s’est ensuite développée petit à petit.
Aujourd’hui, elle est coordonnée en France par le réseau Pedstart, qui regroupe une quinzaine de centres d’investigation clinique. Tous ne sont pas exclusivement pédiatriques, mais la pédiatrie fait partie de leurs activités. Pedstart est l’un des réseaux thématiques de recherche de l’infrastructure nationale F-CRIN, coordonnée par l’Inserm. Par rapport aux autres réseaux de recherche clinique, qui s’intéressent plutôt à des thématiques (maladies cardiovasculaires, asthme sévère, maladie d’Alzheimer, etc.), la spécificité de Pedstart est de s’intéresser à une classe d’âge : il s’agit de traiter tous les aspects de la santé de l’enfant.
Ce réseau est également à l’interface d’un énorme projet européen doté de 150 millions d’euros, « Conect4Children » (Collaborative Network for European Clinical Trials For Children – C4c), qui vise à structurer la recherche clinique au niveau de l’Europe. Il s’agit de faire en sorte que les traitements soient plus efficaces et sûrs pour les enfants.
TC : cette structuration a-t-elle fait ses preuves ?
RH : Pour tester ce réseau de recherche, l’Union européenne a lancé un appel d’offres très compétitif, sur des projets financés à des niveaux assez élevés, de l’ordre de 5 millions d’euros (ce qui est considéré comme un projet pédiatrique très bien financé). La France a remporté l’appel d’offres pour un projet qui s’intéresse une pathologie qui concerne les enfants nés prématurés, la persistance du canal artériel. Dans le ventre de sa mère, le fœtus reçoit l’oxygène de sa mère, il n’utilise pas ses poumons. Son sang en est dévié via une connexion entre l’aorte et l’artère pulmonaire, nommée « canal artériel ».
Chez certains prématurés, ce canal reste ouvert, ce qui peut mener à une hypertrophie cardiaque, et entraîner des œdèmes ou des hémorragies pulmonaires notamment. Il existe des traitements, mais ils restent à parfaire. Ce projet traite de l’emploi d’un médicament très connu, le paracétamol dans cette indication-là. La pertinence de la question clinique, l’expertise des investigateurs, mais aussi la collaboration nationale que nous avons su mettre en œuvre ont été déterminantes dans ce succès.
TC : quel a été l’impact de l’épidémie de Covid-19 sur la recherche clinique pédiatrique ?
RH : Il faut bien comprendre que tout le système hospitalier français s’est réorienté vers la prise en charge du SARS-CoV-2. En ce qui me concerne, par exemple, je ne pratique presque plus mon activité habituelle de pédiatre. Aujourd’hui je vais dépister des adultes qui toussent, demain je vais faire des prélèvements à un autre endroit, ou prêter main-forte dans des secteurs de soins qui ne sont pas du tout les miens. Cela est vrai pour beaucoup de nos collègues, ce qui signifie qu’actuellement l’hôpital s’est complètement “ré-organisé” pour faire face.
C’est la même chose pour la recherche clinique. Un grand nombre d’études en cours ont dû être interrompues, car dans certains cas on a jugé que le risque de faire venir à l’hôpital les patients qui y participaient était plus grand que le bénéfice qu’ils retiraient de l’étude, en raison des contaminations potentielles par le SARS-CoV-2. Les investigateurs et le personnel de recherche a su s’adapter en priorisant certaines études et en adaptant les modalités de suivi (visites par téléphone, livraison du médicament…).
On ne sait pas quand ni sous quelle forme les essais interrompus reprendront. L’étude sur le canal artériel dont nous parlions plus haut ne sera vraisemblablement débutée qu’en septembre alors que les premiers patients devaient l’intégrer en juin. Toute la recherche clinique subit un terrible coup de frein et cela à l’échelle européenne.
Autre conséquence de l’épidémie : tout va plus vite. Habituellement, entre le moment où on a l’idée d’une étude clinique et le moment où on la réalise, il peut s’écouler plusieurs années. Cela inclut la conception de l’étude pour affiner la question, déterminer la meilleure approche et regrouper les experts nécessaires, mais le temps que le dossier passe dans la « moulinette » technico-réglementaire. Quelquefois quand l’investigateur arrive au pied du mur, il y a tellement longtemps qu’il a initié le projet que ses priorités ont pu changer, qu’il a pu perdre son enthousiasme, surtout quand il n’est pas un habitué des essais cliniques. Ce peut être un frein, même si ce n’est pas un frein majeur.
En ce moment nous vivons une période particulière. On se dit « tiens, je testerais bien ce médicament », et quelques semaines plus tard, l’étude est en cours ! Dans ce genre de situation d’urgence, le risque est d’encenser des projets qui finalement ne se confirmeront pas, ou au contraire d’enterrer des projets qui pourraient représenter des opportunités pour certains patients. C’est le problème actuellement. On va tellement vite, notamment sous l’effet de la pression médiatique, qu’on brûle les étapes. C’est un véritable souci.
Il y a aussi le risque d’avoir divers groupes qui travaillent chacun de leur côté, sans intégration de chaque discipline. Dès mars 2020 nous avons créé la « Pedstart Covid-19 task force » afin de répertorier pour l’Inserm toutes les initiatives destinées à mieux comprendre l’infection par le SARS-CoV-2 chez l’enfant. L’idée est de les faire se rejoindre au sein de grosses études, comme la French Covid-19 cohort, un projet à la fois adulte et enfant, ou d’autres initiatives telles que le registre Pandor. Il s’agit d’éviter de doubler les approches, de regrouper l’information sur les recherches cliniques existantes de façon à la diffuser auprès de nos collègues. Nous nous sommes aussi donné comme mission d’anticiper les conséquences de la pandémie SARS-CoV-2 sur la recherche clinique pédiatrique. Nous animons à ce sujet, avec nos collègues du Portugal, une enquête européenne associant réseaux nationaux et centres d’investigation clinique.
TC : combien d’études cliniques pédiatriques sont en cours ?
RH : Pour ce qui est du Covid-19, nous avons répertorié à ce jour 18 études, dont certaines sont encore en conception. La majorité d’entre elles sont des études observationnelles, c’est-à-dire qu’on ne teste pas de médicament. Une seule étude, liée à un projet adulte plus large, celui de Didier Raoult à Marseille, teste un médicament, mais elle ne concerne que 5 enfants, et il n’y a pas de groupe contrôle. D’autres études concernent la réaction des enfants victimes de cancers ou d’autres maladies infectieuses, de cardiomyopathies congénitales, ceux qui sont porteurs de signes dermatologiques, etc.
Tous ces travaux concernent les enfants hospitalisés, mais des recherches impliquent aussi des enfants suivis dans le secteur libéral, ou pris en charge aux urgences, en réanimation, etc.
Si on arrive à comprendre comment se développe l’infection chez les plus jeunes, pourquoi leur réponse à ce coronavirus est différente de celle de l’adulte, on peut espérer trouver des clés de compréhension et de traitement de la maladie Covid-19 chez les plus âgés.
Enfin, au-delà du seul traitement de l’infection par le SARS-CoV-2, cette pandémie nous fait aussi nous poser des questions quant à nos pratiques, et trouver des solutions. Elle a mobilisé comme rarement les personnels. On a pu mener des projets que l’on n’arrivait pas à mettre en route aussi vite avant. Elle a accéléré les choses, et nous devrons en tirer des leçons pour la suite, lorsqu’il va falloir faire coexister les deux systèmes, celui des recherches cliniques sur le Covid-19 et les autres, qu’il faudra bien reprendre…
Cet article est republié à partir de The Conversation. Lire l’article original.