Covid-19 : écoles et contaminations, que dit la science ?
Publié par Centre•Sciences, le 4 novembre 2020 960
Covid-19 : écoles et contaminations, que dit la science ?
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.
Vittoria Colizza, Directrice de recherche - Institut Pierre Louis d’épidémiologie et de santé publique (Inserm/Sorbonne Université), Inserm et Pascal Crépey, Professeur, département Méthodes quantitatives en santé publique (METIS), EA 7449 REPERES, École des hautes études en santé publique (EHESP)
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Vittoria Colizza, Inserm et Pascal Crépey, École des hautes études en santé publique (EHESP)
Le gouvernement a opté pour un scénario de reconfinement maintenant les établissements d’enseignement primaires et secondaires ouverts. Vittoria Colizza, directrice de recherche Inserm au sein de l’Institut Pierre Louis d’épidémiologie et de santé publique (Inserm/Sorbonne Université) et Pascal Crépey, Épidémiologiste et biostatisticien à l’École des Hautes Études en Santé Publique, font le point sur ce que l’on sait actuellement du rôle des enfants et adolescents dans la dynamique de l’épidémie.
The Conversation France : Certaines personnes s’inquiètent du fait que les établissements d’enseignements primaires et secondaires restent ouverts pendant le confinement. Qu’en penser ?
Pascal Crépey : Soyons clairs : les enfants s’infectent aussi, donc ils peuvent être infectés et infecter d’autres gens. Ils peuvent même être à la base de clusters. Cependant, on sait aujourd’hui que, comparativement à d’autres maladies respiratoires comme la grippe, le coronavirus SARS-CoV-2 infecte les enfants dans des proportions moins importantes que les adultes. En outre, les enfants sont non seulement moins susceptibles à la maladie que les adultes, mais aussi moins transmetteurs.
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Le problème est qu’en biologie, le risque zéro n’existe pas, ce qui est encore plus difficile à accepter pour ses enfants que pour soi-même. C’est probablement ce qui complique ce débat. Rappelons qu’en France, on a dénombré depuis le début de l’épidémie 4 décès chez les 10-19 ans, sur plus de 36 000 décès recensés. Cela n’enlève rien au fait que c’est évidemment 4 de trop.
Vittoria Colizza : Ce point explique probablement en partie la polarisation du débat, effectivement. Il me semble également qu’il y a eu un problème de communication : dans les milieux scientifiques, la question de la susceptibilité des enfants et de leur rôle dans la dynamique de l’épidémie a été étudiée très tôt, ce n’est pas une nouveauté. De nombreuses preuves étaient disponibles dès le mois de mai, et elles ont depuis été confirmées à plusieurs reprises.
Les études ont révélé deux choses importantes : avant 20 ans, on est moins susceptibles à la maladie que le reste de la population, et la contagiosité des enfants en bas âge est réduite.
Autrement dit, si un individu de moins de 20 ans et un adulte plus âgé sont exposés au virus dans les mêmes conditions, le plus jeune a moins de risque d’être infecté. Cette situation rend moins favorable la transmission de personne a personne en milieu scolaire, par rapport a d’autres contextes « entre adultes », par exemple sur les lieux de travail.
TCF : C’est un des points qui revient souvent dans les discussions : si les enfants, surtout en dessous de 10 ans, sont peu contagieux, pourquoi les priver de voir leurs grands-parents ? Et pourquoi les contraindre à porter un masque ?
VC : Décider si les enfants peuvent rencontrer leurs grands-parents ou pas est essentiellement une question de choix individuel : il faut bien comprendre qu’il n’existe pas de risque nul, mais un risque réduit par rapport à d’autres risques. Les autorités devraient être très explicites sur ce point, tout en soulignant qu’on peut diminuer ledit risque par le port du masque, le respect des distances… En Corée du Sud, par exemple, le port du masque en famille, à la maison, est recommandé.
Concernant le degré de contagiosité des plus jeunes, et donc la nécessité de leur faire porter le masque, il existe une synthèse de preuves, mais pas encore d’estimation précise. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a conseillé le port du masque à partir de 11 ans, dans les mêmes contextes que pour les adultes. Concernant les enfants moins âgés, elle a émis des recommandations dépendamment de la situation épidémique, de l’accès aux masques et de la possibilité de poursuivre l’apprentissage dans de bonnes conditions.
Certains pays ont décidé de faire porter aux plus jeunes le masque dès la rentrée de septembre. C’est par exemple le cas de l’Italie, où le masque est recommandé dès 6 ans, non seulement à l’école, mais aussi en dehors. Aux États-Unis, dès avant l’été, les CDC le recommandaient pour les enfants à partir de l’âge de deux ans.
La question qui se pose est la suivante : le coût du port du masque pour les enfants, en vue de limiter le risque, si minime soit-il, d’avoir une source de transmission supplémentaire du virus, est-il acceptable ? De nombreuses discussions ont eu lieu à ce sujet, autour notamment des difficultés que les enfants en bas âge pourraient avoir pour communiquer, de l’impact du masque sur le bien-être des enfants, sur leur apprentissage… Mais le port du masque constitue sans doute un frein supplémentaire à la propagation.
TCF : Que sait-on de la transmission par les adolescents, qui développent des formes de la maladie différentes de celles des jeunes enfants, parfois plus proches de celles de l’adulte ?
VC : On sait qu’une fois que les adolescents sont infectés, ils vont transmettre le virus de façon assez similaire aux adultes asymptomatiques. L’Institut Pasteur a fait une étude sur des données provenant de l’Oise, qui démontre l’impact de la fermeture des écoles avant la mise en place des mesures d’interventions. À l’époque, dans ce département, le virus circulait déjà dans les lycées et les écoles.
Des enquêtes a posteriori, s’appuyant sur des analyses sérologiques, ont révélé que le taux d’attaque sur les lycéens était assez similaire à celui des enseignants et du personnel scolaire. Cela démontre que le lycée avait été un endroit de transmission. Avec les vacances scolaires, qui ont équivalu à une décision de fermeture des établissements, la propagation a chuté. Les adolescents peuvent donc être contaminants.
D’autres travaux du même type menés dans les écoles ont montré que les enfants y étaient beaucoup moins infectés que dans les lycées, et que certains, bien que testés positifs, n’avaient pas propagé pas le virus.
Ces résultats sont cohérents avec les preuves accumulées durant les derniers mois. Donc si l’on doit, pour maîtriser davantage l’épidémie, limiter encore plus le risque de transmission, on pourrait envisager de fermer lycées et collèges, ou au moins de réfléchir à des enseignements à distance partiels avec des rotations, pour limiter le problème du présentiel.
Car même si les jeunes portent des masques pendant les cours, d’autres moments de transmission existent au cours de la journée, comme lors de l’attente dans la file de la cantine, ou au cours des repas par exemple.
TCF : Certains évoquent le cas de ce lycée de Jérusalem qui a été le point de départ d’une contamination importante en mai comme argument pour fermer les écoles.
VC : En ce qui concerne ce cas, l’information principale lorsqu’il est cité est souvent omise : la flambée de contaminations est survenue durant une canicule de plusieurs jours. Les autorités avaient décidé de fermer les fenêtres du lycée, de mettre la climatisation, et les adolescents ont été exemptés de porter leur masque. Or on sait que ce sont les conditions parfaites pour la circulation du virus.
En outre, le contexte socioculturel a joué un rôle essentiel. Une très forte propagation du virus a été observée dans le milieu orthodoxe, probablement liée à une observation moins efficace des mesures barrières. Or, on sait qu’il n’existe pas de frontières étanches entre les communautés qui composent une population : le virus a donc ensuite pu se propager au reste du pays.
PC : Il faut souligner que la France n’est pas le seul pays à avoir reconfiné en maintenant ses écoles ouvertes. C’est par exemple aussi le cas de l’Irlande ou du Pays de Galles, et bientôt du Royaume-Uni tout entier. La Suisse, qui vient de renforcer ses mesures de contrôle de l’épidémie, n’en applique pas de nouvelles sur les écoles.
L’évolution du nombre de reproduction de l’épidémie au cours de la période estivale et pendant le mois de septembre (calculé à partir des données de tests positifs publiées par Santé Publique France) tend à montrer que les écoles ne sont pas l’épine dorsale de l’épidémie (ndlr : aussi appelé « R effectif », le nombre de reproduction est une estimation, sur les 7 derniers jours, du nombre moyen d’individus contaminés par une personne infectée).
Ce nombre s’est élevé anormalement pendant l’été, alors que les écoles étaient fermées, puis a sérieusement baissé à la rentrée, pour arriver au niveau national à des valeurs très proches de 1 (seuil en dessous duquel l’épidémie régresse). À cette période les écoles avaient rouvert. Si elles avaient été des foyers de contamination importants, on aurait dû assister à une explosion des cas. Cela ne s’est pas passé. L’épidémie a plutôt été mieux contrôlée en septembre, jusqu’à l’arrivée du mauvais temps qui a contribué à dégrader la situation.
Pour revenir sur le cas d’Israël, la fermeture des écoles fut l’une des premières mesures à être prise lors de la première vague (le 13 mars 2020) mais aucune baisse du nombre de cas positifs n’a été observée avant début avril, soit une dizaine de jours après leur confinement, mis en place le 22 mars.
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TCF : Certaines publications ont révélé que les enfants ont une charge virale quasiment identique à celle des adultes. Comment expliquer qu’ils sont moins source de contamination ?
VC : Il faut toujours tenir compte du fait que la charge virale n’est pas la seule composante du risque de transmission. Une des premières études chinoises sur l’épidémie montrait que ce risque augmentait en fonction de la présence de symptômes et de leur gravité. C’est assez compréhensible : si deux personnes ont la même charge virale, celle qui tousse fortement et fréquemment a plus d’occasions de transmettre le virus.
Surtout, le type d’activité que l’on pratique est particulièrement important. L’exemple du rassemblement évangélique de Mulhouse, qui a fortement dégradé la situation dans le Grand Est, est emblématique : de nombreuses personnes se sont rassemblées pour chanter, sur de longues périodes, dans des lieux clos… Des conditions de transmission idéales. Au Japon, de nombreux clusters ont émergé dans les bars à karaoké, que les autorités ont fini par interdire. Pour ces raisons, certains protocoles sanitaires recommandent de proscrire le chant dans les écoles.
C’est aussi une des raisons qui ont motivé les autorités à limiter ou interdire l’accès aux stades : les chants, les cris, la proximité augmentent le risque de transmission.
TCF : Que répondez-vous aux gens qui disent qu’on ne voit pas d’effet dans les écoles parce qu’on ne teste pas ?
PC : La première chose à répondre c’est que c’est inexact. Sur la troisième semaine d’octobre, près de 220 000 tests ont été effectués chez les moins de 20 ans (dont 44 000 chez les moins de 10 ans). Sur la même semaine, il y en a eu 165 000 chez les plus de 70 ans. Rapporté à la taille des populations, leur taux de test est donc rigoureusement similaire : environ 2 % de ces populations ont été testés par semaine. On constate que les taux de positivité (nombre de personnes testées positives sur une semaine) sont plus élevés chez les personnes âgées (plus de 20 %) que chez les enfants et adolescents (12 % et 16 %). Il est vrai qu’il y a certainement un biais de sélection, lié à la présence de symptômes.
VC : Oui : la positivité étant détectée chez les personnes qui ont des symptômes (et donc se font tester), il est effectivement plus difficile de détecter des enfants positifs, puisque l’infection ne déclenche généralement chez eux que peu de symptômes, voire aucun. L’importation du virus dans une classe passe généralement inaperçue jusqu’au moment où un adulte attrape la maladie et présente des symptômes. En retraçant ses contacts, il arrive qu’on trouve des enfants infectés dans la classe.
Nous avions estimé les risques d’introduction du virus à l’école durant les premières semaines après la rentrée. Nos calculs avaient montré que l’importation pouvait être sous-estimée, parfois jusqu’à un facteur 10. Cela démontre qu’il est effectivement difficile de suivre la positivité des enfants.
Cependant, comme le soulignait Pascal, durant la deuxième moitié de septembre nous avons observé un ralentissement des hospitalisations. Or, en raison de l’histoire naturelle du virus notamment, ainsi que du délai entre l’infection et l’entrée à l’hôpital dans les cas graves, les hospitalisations surviennent toujours avec un délai sur ce qui les a entraînées. Cela signifie que les hospitalisations de la seconde moitié de septembre correspondent au début de la rentrée. Si les écoles avaient joué un rôle important dans l’épidémie, leur nombre aurait donc dû exploser. Or, ça n’a pas été le cas. En outre, les données dans les pays qui ont rouvert les écoles n’ont pas révélé d’augmentation forte de la maladie chez les enseignants.
On connaît assez bien aujourd’hui la façon dont ce virus se transmet. On sait que tous les moments où l’on ne porte pas de masque, où l’on ne garde plus une distance suffisante avec les autres, constituent clairement des situations à risque, surtout dans des lieux clos et insuffisamment aérés. Il faut donc veiller à ces points, et mettre en place des modes d’organisation qui limitent les risques de transmission, en particulier dans les moments tels que celui de la cantine. L’aération des locaux est aussi essentielle, surtout maintenant que l’on passe plus de temps en intérieur.