Covid-19 : comment les discours conspirationnistes se sont engouffrés dans les failles de com’ du gouvernement
Publié par Université de Tours, le 3 mars 2023 750
Depuis 2020, la pandémie de Covid-19 a généré dans différentes parties du monde des inquiétudes et des incertitudes légitimes face à la maladie et les réponses sanitaires et politiques qui lui ont été apportées. Mais, elle a également donné naissance à diverses « théories du complot », fake news et autres expressions de « populisme médical » contestant les avancées des connaissances scientifiques à propos du virus et certaines mesures mises en place par les gouvernements pour tenter de juguler le développement de la pandémie.
Précisons que contester ou critiquer les politiques sanitaires mises en place, notamment lorsqu’il s’agit de mesures de privation ou de restriction des libertés publiques, n’est en rien immédiatement réductible et (dis)qualifiable de complotisme, d’obscurantisme ou d’irrationalité.
Néanmoins, les failles de la communication gouvernementale en France, depuis le début de l’année 2020, ont facilité l’émergence de discours conspirationnistes. Ces derniers ont participé de différentes stratégies de démarcation pour plusieurs (pré)candidats, notamment au sein des droites extrêmes.
Des épidémies aux « infodémies »
A suivre l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), outre la propagation rapide et massive de la pandémie, le monde s’est trouvé confronté dès 2020 à un autre type de perturbation : un dérèglement informationnel, parfois qualifié d’« infodémie », c’est-à-dire la circulation et la succession, inédites dans leur rapidité et leur ampleur, d’informations vraies ou fausses, aux statuts incertains et fluctuants, et parfois contradictoires.
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Il fut alors très difficile pour les publics de s’y retrouver et de savoir à quelles informations et à quelles autorités il convenait de faire confiance : les scientifiques et les experts, les professionnels des médias et de la politique, les influenceurs sur les réseaux socionumériques et les médias alternatifs ?
Dans ce contexte de brouillage informationnel, trois facteurs ont contribué à ouvrir une fenêtre d’opportunité pour l’émergence de discours alternatifs, conspirationnistes pour certains.
Le premier, et sans doute le plus évident, fut le développement même d’un virus à propos duquel le savoir scientifique et médical était encore balbutiant, y compris dans sa dénomination : le/la Covid-19, le coronavirus, le SARS-CoV-2, le 2019-nCoV,le « virus chinois », etc. Cette « science en train de se faire » et les discours parfois opposés des experts – on pense au cas du Dr Raoult – ou des journalistes invités à s’exprimer dans les médias traditionnels ont alimenté la confusion au sein des publics.
Ce virus a aussi émergé dans un contexte de haut degré de défiance structurelle des citoyens vis-à-vis des professionnels des médias et de la politique, et plus généralement des discours officiels et/ou institutionnels (OMS, ministère de la Santé, ARS, etc.).
Enfin, d’un point de vue conjoncturel, la cacophonie communicationnelle du gouvernement n’a rien fait pour améliorer la confiance dans les pouvoirs publics.
Des injonctions contradictoires
Dès la première quinzaine de mars, les injonctions contradictoires se succèdent à propos de la fermeture des écoles, de la nécessité de changer/maintenir nos habitudes de sociabilités (visites interdite dans les Ehpad mais sortie présidentielle au théâtre), des élections municipales (restez chez vous, mais allez voter). Le point d’orgue de cette séquence étant l’annonce, le 16 mars, par le président d’un confinement « de 15 jours au moins ».
Puis, en avril-mai, la nécessité du port du masque en population générale est sujette à revirement de doctrine. En septembre-octobre, contrairement à d’autres pays, la possibilité de mettre en place rapidement une campagne de vaccination massive est balayée de la main par les experts gouvernementaux et les médias. Enfin, la suspension/réintroduction du vaccin AstraZeneca en mars 2021 est l’objet d’une communication totalement inaudible).
En somme, tous ces éléments ont favorisé l’émergence et la circulation dans l’espace public de discours alternatifs ou complotistes à même de donner du sens à la pandémie.
Des ressemblances avec les autres grandes crises sanitaires
Sur le fond, plus que l’originalité des fake news et « théories du complot » qui entourent le Covid-19, ce qui frappe l’observateur est au contraire les ressemblances avec celles avancées lors des précédentes crises sanitaires depuis les grippes « russe » (1899-1890) et « espagnole » (1918-1921) jusqu’à la grippe « mexicaine » (2009) en passant par le sida (depuis 1982) ou le SARS-CoV (2002-2004).
Plusieurs thématiques, déclinées dans le tableau ci-dessous, semblent récurrentes. On pense à l’altérisation de la maladie menaçante, c’est-à-dire le fait de la désigner comme étrangère, le rejet des nouvelles technologies et des élites prétendument corrompues et aux intérêts opposés à ceux du peuple, la négation de la gravité de la maladie et la formulation de propositions thérapeutiques alternatives.
Si ces théories conspirationnistes et fake news relatives au Covid-19 se sont principalement propagées sur Internet, tant sur les réseaux alternatifs tels 4Chan, Odyssée, Gab ou 8Kun) que sur des plates-formes plus institutionnalisées comme Reddit, Twitter, Instagram, Facebook ou YouTube – on pense notamment au documentaire Hold-Up – ainsi que sur des sites conspirationnistes comme Égalité & Réconciliation, FranceSoir, RéInfo Covid, ou Riposte laïque, il convient toutefois de souligner que celles-ci ont débordé l’espace numérique et ont donné lieu à de véritables usages stratégiques durant la (pré)campagne électorale de 2022.
Des usages politiques du complotisme
Pour les candidats qui prétendaient accéder au second tour, voire à la victoire, lors de la dernière élection présidentielle, le complotisme médical a largement constitué un repoussoir, contrairement à d’autres thèmes conspirationnistes, comme le « Grand Remplacement » par exemple qui a été mobilisé par Éric Zemmour et Marine Le Pen par exemple.
Cependant, on observe que des « petits candidats » ont pu être tentés de chercher à convertir ces narratifs en ressources et capitaux politiques.
En adoptant des positions hétérodoxes, voire disqualifiées au sein des champs politiques, médiatiques et scientifiques à propos de la vaccination ou de l’instauration d’une prétendue « dictature sanitaire », des personnalités situées aux extrêmes droites telles que Florian Philippot, Nicolas Dupont-Aignan ou encore François Asselineau ont cherché, certes sans succès, à porter un discours anti-élites à même de fédérer un mouvement de protestation populaire potentiellement monnayable en gains électoraux.
Ainsi, dès la mi-2020, Philippot et d’autres groupes ont organisé, à Paris d’abord et en province ensuite, des rassemblements hebdomadaires pour dénoncer l’introduction d’une « dictature sanitaire », puis du passe vaccinal, et défendre les libertés individuelles. Parmi les participants, citons différentes personnalités ayant endossé des positions complotistes : Francis Lalanne, Jean-Marie Bigard, Pierre Cassen (Riposte laïque), Richard Boutry (FranceSoir), Louis Fouché (RéInfo Covid) ou encore Martine Wonner.
Si ces tentatives de mobilisations ont été épisodiquement plus ou moins suivies dans la rue jusqu’en septembre 2021, elles ont clairement échoué sur le plan électoral en 2022. Plusieurs pistes d’explication peuvent être avancées.
Au sein du champ politique tout d’abord, bien que le complotisme pointe avec justesse certains dysfonctionnements et maux des régimes représentatifs, il ne constitue pas un programme de gouvernement dans la mesure où il procède davantage du registre de la dénonciation ou de la protestation que de propositions politiques alternatives réellement applicables. Surtout, même si le complotisme pointe des dysfonctionnements réels, il se méprend en les attribuant à l’action de groupes d’individus secrets et omnipotents alors que leurs causes et leurs effets sont le produit de structures sociales de domination qui échappent elles-mêmes largement aux titulaires du pouvoir.
Il convient aussi de répéter avec force qu’il n’existe pas d’équivalence totale entre ce qui se passe sur le web (clics, vues, traction, etc.), et en tout particulier sur les réseaux socionumériques, et le champ social. Le poids du complotisme est largement surestimé dans la société (effet de loupe à l’activité de minorités agissantes et organisées sur les réseaux socionumériques) par certains « experts » dans les médias et les militants « anti-conspi » qui participent et alimentent en même temps une panique morale qui touche une frange des élites politiques et médiatiques. Plus encore, les médias traditionnels participent d’un second effet de loupe en focalisant l’attention des publics sur des épiphénomènes limités aux réseaux socionumériques et qui, sans leur intervention, seraient passés inaperçus. On pense ainsi en décembre 2022 à cette rumeur transphobe insinuant que Brigitte Macron serait en réalité née de sexe masculin sous le patronyme de Jean-Michel.]
Pour en revenir aux discours conspirationnistes en lien avec le Covid-19, bien que largement minoritaires au sein de la population, ils attestent cependant d’une grande défiance d’une frange de la population, d’une forte polarisation qui s’est traduite lors du cycle électoral de 2022 par une forte abstention, la marginalisation des partis de gouvernement traditionnel ainsi que l’accentuation de la poussée et de la normalisation des droites extrêmes. Ceux sont là autant de marqueurs d’une défiance profonde d’une patrie des Français envers les institutions que la réélection d’Emmanuel Macron ne doit en rien occulter.
Julien Giry, , Université de Tours
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.