Communication catholique et pédocriminalité des prêtres

Publié par Université de Tours, le 17 novembre 2021   900

Il y a somme toute quelque chose de paradoxal à parler de la communication catholique. Car le rapport de la commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (Ciase) montre que l’Église catholique, dans bien des cas, n’a pas communiqué, volontairement. Les affaires ont été tenues au secret. Les choses se sont dites discrètement, à mots couverts. Il fallait éviter de faire du bruit, éviter que ça se sache. Éviter la communication, donc. Éviter le scandale, car ce terme se trouve dans l’évangile.

Et comme le souligne Stéphane Dufour, l’Église catholique aime sans doute le secret. Elle se sentait, sans doute, « parfaite et intouchable », forte de son appareil juridique propre (le droit canon), avant que plusieurs scandales n’éclatent, dans les années 1980. Cela s’inscrit cependant dans une histoire longue, comme l’a montré récemment Claude Langlois.

C’est que l’Église catholique, comme d’autres institutions chrétiennes, et d’autres religions (les islams, par exemple) ne communique pas seulement par des discours, des images normées, des médias, des assemblées, des rites publics et médiatisés, aussi, des sites Internet et des applications ou des vidéos, mais aussi par le témoignage humain.

Une communication par le comportement : le témoignage chrétien

Le comportement d’une personne, son célibat engagé, est censé en effet, à l’époque moderne et en Occident, pour une société qui l’admet et le reconnaît, témoigner de l’amour du dieu chrétien et de Jésus, son fils, pour les humains. Autrement dit, c’est le comportement qui est « donné à voir » et qui parle, à qui saurait l’entendre de la sorte (et pas autrement).

C’est le sens d’une « sainteté » exigée au quotidien. Puisqu’un homme (ou une femme) renonce au pouvoir (économique ou politique), à l’argent, à la sexualité (du moins en principe), c’est que le dieu le nourrit et est tout, est-on invité ainsi à penser. Or, dans l’affaire de la pédocriminalité des prêtres catholiques, le comportement d’un certain nombre de ces derniers laisse apparaître autre chose, et ne témoigne pas en faveur du dieu et du souci des plus faibles. En termes catholiques, c’est donc un « contre-témoignage ». La communication chrétienne est obstruée par ces gestes, pervers, destructeurs et criminels, au lieu même où elle « communique ».

Ce n’est pas l’Église catholique, soucieuse de vérité et d’aveu (par la confession demandée aux fidèles pour le sacrement dit de réconciliation), qui plus est, qui communique d’abord sur ces questions (elle se tait) : ce sont les victimes, les journalistes et les médias.

Une impossibilité de contrôler désormais la communication

La parole du témoin, c’est celle de l’homme (ou de la femme) victime d’attouchements ou de pénétration quand il ou elle était scout. Qui évoque le refus d’entendre des familles. « Ça communique », mais pas là où on voudrait. L’Église catholique, en tant qu’institution fermée, comme l’armée ou la franc-maçonnerie, contrôle en grande partie sa communication. Les réseaux numériques lui ont d’ailleurs posé une difficulté, qu’elle a cherché à réguler, en ce qu’ils permettaient à « tous » de s’exprimer.

Une parole interne, dans un contexte de « censure » (de volonté que ça n’advienne pas publiquement, que cela ne soit pas publicisé), soutenue par des associations de victimes, passe par l’extérieur, et est entendue depuis l’extérieur. Il s’est passé quelque chose de semblable pour la crise des suicides à France Télécom-Orange en 2004 : c’est l’écho médiatique qui a obligé à une écoute et une prise de conscience interne, là où les interrogations syndicales et les alertes publiques n’étaient pas entendues.

Un temps propre pour communiquer ?

Mais, s’interrogent certains, comme l’expert et conseiller en communication – interlocuteur du pape François – Dominique Wolton, l’écrit dans Pape François, Politique et Société :

« Le temps de l’Église n’est pas toujours celui de la société. Ce n’est pas celui des médias non plus. Or aujourd’hui, les médias sont devenus le tribunal des mœurs [car] l’Église manipule aussi du temps, des valeurs, qui sont différentes. »

L’institution, liée à l’intemporalité sinon à l’éternité, échapperait donc au temps médiatique (à défaut d’échapper à la loi ?). Cette soustraction à la temporalité comme à la communication ordinaire pose question, ou du moins est difficilement acceptable dans une société qui vit dans le désir d’une temporalité commune et dans laquelle les acteurs, notamment religieux, sont amenés à rendre des comptes de leur action, et s’exposent au regard du tiers. C’est la possibilité d’un regard extérieur sur le religieux qui est en cause, et en jeu.

Le pape François après les prières de la Toussaint le 1ᵉʳ novembre 2021 au Vatican. Vincenzo Pinto/AFP

Il semble cependant que le pape catholique accepte désormais la communication et le rôle des médias dans cette affaire, puisque François, s’adressant aux journalistes, les remerciait, le 12 novembre 2021, pour ce qu’ils disent « sur ce qui ne va pas dans l’Église » afin de l’« aider à ne pas le mettre sous le tapis » et « pour la voix donnée aux victimes d’abus ». Une dette communicationnelle envers les médias, en quelque sorte, s’acquitte ainsi.

Le religieux, une affaire publique

Le religieux ne peut toutefois pas être seulement l’affaire des évêques, des rabbins (mêmes femmes), de « savants religieux » ou d’imams. Il concerne les citoyens, qui peuvent également entendre à leur propos les analyses de chercheurs en sciences sociales du religieux. On comprend bien, toutefois, que le religieux pourrait vouloir échapper au regard, surtout quand il est malveillant, ou qu’il ne comprend pas le propos « spirituel » du religieux, ce qui est souvent le cas des médias.

Ces derniers peuvent en effet ne s’intéresser à l’Église catholique qu’à propos de questions de sexualité (homosexualité, pédophilie, viols, domination masculine, préservatifs), précisément, d’argent (détournement, placements, liens avec la mafia), ou bien, de façon presque folklorique, de production monastique de bière ou de fromage… (ou, plus spirituellement, de chant grégorien). Peut-être cela est-il le signe d’un effondrement social radical du religieux, qui ne peut plus être compris dans son propos propre, mais seulement dans ses signes extérieurs.

Ceci ne fonde pas toutefois le religieux à ne revendiquer d’expertise adéquate que de lui-même. Les clercs ou les « dévots » ne sont pas les seuls autorisés à parler du religieux, dans l’espace public, surtout quand le religieux affiche ou implique des préoccupations politiques et sociales : refus du mariage entre personnes de même sexe, rejet de l’avortement, rejet de l’homosexualité, de la contraception, de l’euthanasie…

Qu’une institution soucieuse de pureté et avide de recommandations morales, se préoccupant si souvent de la vie sexuelle, matrimoniale et familiale des personnes, trouvant aisément impur le moindre geste érotique, et se souciant du caractère sain ou non des contenus et images circulant dans l’espace public, s’avère ainsi criminelle interroge donc le public notamment quant à sa communication, interne et publique.

Communiquer sur un ensemble de drames

Les dispositifs et actes qu’a mis en place l’Église catholique pour faire face à ces crimes et à ce drame, gérer ce scandale et y répondre ont été nombreux : demande publique de pardon au plus haut niveau et affichage d’une préoccupation forte, contre-communication montrant le souci de l’institution pour les enfants, prières, espaces d’accueil et d’écoute dans les églises, commission d’enquête indépendante, communication par le geste symbolique, ritualisation presque liturgique, à Lourdes (les genoux à terre), de la repentance, reconnaissance de la dimension institutionnelle et du caractère « systémique » (mettant en jeu l’organisation entière et son silence) de ces crimes, par la Conférence des évêques de France…

Dominique Blanchet (évêque de Créteil), Eric de Moulins-Beaufort (archevêque de Reims) et Olivier Leborgne (évêque d’Arras) lors d’une conférence de presse suite à la Conférence des évêques de France tenue à Lourdes le 8 novembre. Valentine Chapuis/AFP

Toutefois, ils peuvent ne pas suffire à apaiser le public, inquiet de ces actes comme de leur mise sous silence. Ils n’effacent pas le manque de conscience et de débat interne à l’Église, cette autre forme de communication, constructive.

Sans doute, cette affaire forme aussi l’occasion opportune, en contexte de laïcité en tension (car la laïcité républicaine française est à la fois utilisée par l’extrême droite dans une perspective xénophobe, et attaquée autant par une partie de la gauche que par des défenseurs des religions, qu’il s’agisse du christianisme ou d’un islam), d’attaques fortes, cette fois justifiées, contre l’Église catholique.

Elle demeure une institution finalement mal connue et ses objectifs ne semblent pas toujours en phase avec un certain nombre d’orientations et de tendances sociales (avortement, mariage pour les couples homosexuels, aménagement des conditions de décès…).

Difficultés à admettre

La diversité des expressions ecclésiales dans les médias et sur les réseaux toutefois surprend : « le temps des persécutions est venu », dit un prêtre, il y a bien plus de pédocriminalité dans les familles ou d’autres institutions, disent plusieurs, tout comme le pape François qui déclarait lui-même en 2017 que « « la majeure partie des abus sur les mineurs viennent du cercle familial ou des voisins du quartier » (Politique et société, p.223).

La confession est un secret majeur, déclare par ailleurs le porte-parole de la Conférence des évêques de France.

La Conférence des évêques de France, réunie à Lourdes en novembre 2021, s’est exprimée cependant de façon plus ferme et plus forte. Elle a mis en place et communiqué un programme d’actions. Lorsque les associations de victimes, les réseaux sociaux et les médias font éclater la communication, l’institution ne peut plus être muette, craindre le dissensus, ou couvrir des forfaits de son silence prudent.

Il importe donc de communiquer sur le religieux, qui a ses silences, et ne tient pas toujours la promesse qu’il porte, et d’interroger autant ses communications, internes et externes, que sa non-communication, et, peut-être, de dialoguer avec lui, s’il consent à une relation égalitaire, ainsi qu’au débat.

David Douyère, Professeur de sciences de l'information et de la communication, Université de Tours

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.