Ces climats familiaux qui favorisent l’inceste

Publié par Université de Tours, le 11 février 2021   1.7k

Cet article est republié à partir de The Conversation. Lire l’article original.


L’inceste peut se définir comme des relations sexuelles entre parents très proches (personnes d’une même famille dont le degré de parenté ou d’alliance ne permet pas le mariage, civil ou religieux).

Il est aujourd’hui interdit dans toutes les sociétés dont il représente un des fondements majeurs (voir notamment le principe de l’exogamie).

La notion d’incestuel définie par Paul-Claude Racamier désigne un climat psychique et de relations interpersonnelles intrafamiliales proches de l’inceste (mais a priori sans relation sexuelle véritable).

Il s’agit plutôt de relation de dépendance érotisée entre un parent souvent omniprésent et son enfant, qui s’accompagne d’une confusion des places et peut aboutir à un déni d’altérité pour l’enfant (un « meurtre d’identité », c’est-à-dire des difficultés dans son individuation).


Dynamiques familiales

Par le climat incestuel qu’il établit, le parent incestuel tente de lutter contre la difficulté à faire face à des angoisses de perte. Au sein d’une dynamique familiale en huis clos, il peut contribuer à éviter la séparation des sujets (parents-enfants), des générations, à entretenir pour le parent un fantasme de prolongement de soi (forme d’auto-engendrement) en mettant le psychisme et le corps de l’enfant à son service.

Le complexe d’œdipe qui traite de l’amour d’un enfant pour son parent de sexe opposé ne peut être résolu que si le parent aide son enfant dans son développement sans le « séduire » et sans l’« agresser » (sans relation incestueuse). L’incestuel constitue une figure d’antiœdipe car la séduction sexuelle par le parent est mise au service d’une séduction narcissique qui vise à empêcher l’autonomisation psychique de l’enfant et à attendre de lui qu’il réponde à ses seuls manques.

Par sa dynamique, le climat incestuel pourrait favoriser l’inceste. Des auteurs ont tenté d’opérationnaliser ce concept par la création d’un outil d’évaluation du climat incestuel.


Carences affectives précoces

Le fonctionnement des familles incestuelles ou incestueuses peut être favorisé par l’existence de carences affectives précoces chez l’un des parents ou les deux, d’antécédents d’abus sexuels dans l’enfance (un tiers des cas), par la survenue d’évènement traumatique, de séparation affective, etc.

On retrouvera souvent des perturbations familiales où la différence des générations est abolie au niveau affectif et sexuel, où il peut exister une forme de porosité, de confusion entre ce qui est possible ou non entre adultes et enfants.

Il existe probablement une grande hétérogénéité de profils des parents incestueux. On décrit des parents qui souvent n’ont pas réussi à se « structurer » suffisamment (parents « immatures »), qui peuvent demeurer passifs, soumis, dépendants, inhibés dans leur vie relationnelle, ayant eu du mal à trouver un·e partenaire à qui ils restent très attachés.

On peut rapprocher ces profils des actes incestueux commis sur les enfants après des périodes de tensions conjugales ou de séparations (par exemple un père qui « substituerait » sa fille à sa femme dans une demande à la fois affective et sexuelle).

On décrit aussi des parents incestueux despotiques (parfois uniquement en situation intrafamiliale) qui vont user de manipulations, de menaces ou avoir recours à la violence pour imposer des actes incestueux (par exemple un père qui considérerait qu’il a des droits sur sa fille dont il pourrait profiter comme il l’entend). Ces formes d’autoritarisme peuvent être compatibles avec des manques (l’« impuissance » du sujet étant retournée en toute-puissance à l’égard de la victime).

Si les pertes et les situations aversives (deuil des parents, décès d’un enfant, « crise » conjugale, rupture, chômage ou accident grave) peuvent favoriser la survenue ou le maintien et la réitération de passages à l’acte incestueux, ils n’en sont pas la cause. L’alcool peut aussi favoriser des actes par la désinhibition qu’il permet, mais aussi le fait d’aider à supporter la culpabilité ou les remords du parent incestueux.


Inceste et pédophilie

L’intérêt pour le corps de l’enfant peut se manifester à travers des jeux ambigus, des attouchements lors de la toilette ou des bains, de l’habillage pouvant évoluer vers des agressions sexuelles ou des viols (par fellation, pénétration digitale ou par un objet, sodomie et coït).

Le fait d’opposer des violences sexuelles sur des victimes mineures en situation intrafamiliale (en parlant d’inceste) et extrafamiliale (en parlant de pédophilie) est schématique et sans doute erroné. Certains actes incestueux peuvent relever d’intérêts pédophiliques (paraphilie ou trouble paraphilique). Il peut s’agir d’une « découverte » de ces intérêts au cours des actes incestueux ou de stratégies d’instauration de relations incestueuses (notamment avec des enfants d’un conjoint en cas de couple recomposé) pour répondre aux intérêts paraphiliques.

Les agresseurs intrafamiliaux (incestueux) présentent plus d’antécédents de difficulté dans l’enfance (carence, abus) avec un faible attachement aux figures parentales.

Les agresseurs extrafamiliaux présentent plus d’excitation face aux enfants (du fait d’intérêts sexuels déviants plus importants), une plus grande difficulté de régulation sexuelle, plus de déni et de distorsions cognitives. Ils agressent plus souvent des mineurs garçons ou des deux sexes. Ils ont plus de traits antisociaux (même s’ils sont capables de forme d’empathie à l’égard des enfants qui leur permet de pouvoir les « séduire ») et ils ont plus souvent affaire à la Justice.

Les pédophiles incestueux (intrafamiliaux) représenteraient 20 % des pédophiles en sachant que deux tiers d’entre eux a aussi pu agresser un enfant en dehors du cadre familial. Aux classifications distinguant les catégories intra ou extrafamiliales d’agresseurs, il serait sans doute préférable de substituer une catégorie unique de pédophilie générale incluant l’inceste.


Conséquences de l’inceste

L’inceste est un sujet tabou. Il y aurait 1 à 2 millions de victimes en France et tous les milieux socioculturels sont concernés. Les victimes sont le plus souvent des filles et les auteurs des hommes, mais les femmes peuvent être concernées, comme complices et comme auteures (cela reste rare).

La question de la complicité des actes par la figure maternelle est un sujet complexe (entre connaissance partielle des faits, déni, participation à la dynamique familiale pathologique, etc.). Les victimes peuvent subir des relations sexuelles incestueuses toute leur enfance et adolescence (plus particulièrement vers l’âge de 4 à 9 ans et 12 à 15). Les victimes porteuses d’un handicap sont souvent plus exposées.

La révélation des actes incestueux est encore rare (10 % uniquement) et très tardive. Plusieurs facteurs peuvent contribuer à cela : le sentiment de culpabilité et de honte des victimes, la peur de ne pas être cru(es), le fait que la relation incestueuse a pu évoluer pendant plusieurs mois ou plusieurs années, le silence des autres membres de la famille et la dynamique familiale (climat incestuel, famille en huis clos, banalisation des actes, les promesses de silence exigées par l’agresseur, la peur des représailles, d’être rejetée, etc.).

Les victimes d’inceste présentent des répercussions psychologiques, physiques et sexuelles d’autant plus graves qu’elles sont exposées à de multiples infractions et à des agressions plus graves au fil du temps.

Ces conséquences sont multiples : vécu de souffrance avec troubles dépressifs, risques élevés de tentatives de suicide, manifestations d’anxiété (troubles anxieux incluant des états de stress post-traumatique), addictions, troubles des conduites alimentaires, perturbation de la sexualité (y compris des conduites sexuelles à risque et d’entrée dans la prostitution), perte d’estime de soi, etc.