Cellules médico-psychologiques : comment aident-elles les élèves après un événement traumatique ?
Publié par Inserm iBraiN Université de Tours, le 14 mars 2023 660
Cellules médico-psychologiques : comment aident-elles les élèves après un événement traumatique ?
Antoine Bray, Université de Tours et Wissam El-Hage, Université de Tours
Le milieu scolaire est, à l’image du reste de la société, régulièrement confronté à des violences et des événements graves à fort impact traumatique. Brutalement exposés à une menace pour leur intégrité physique ou psychique, à un risque mortel pour eux-mêmes ou pour autrui, voire au spectacle d’une mort horrible, les sujets impliqués peuvent éprouver un vécu d’insécurité totale ou de perte de contrôle.
Dans cette expérience inattendue, désorganisatrice et destructrice du « réel de la mort », victimes et témoins se retrouvent démunis, comme au lycée Saint-Thomas-d’Aquin de Saint-Jean-de-Luz (Pyrénées-Atlantiques), où, le 22 février 2023, Agnès Lassalle, professeure d’espagnol est morte après avoir été poignardée en plein cours par un élève.
Les classes de seconde présentes ce jour-là ont été prises en charge par une cellule psychologique, a déclaré le ministre de l’Éducation aussitôt après le drame.
Souvent plébiscités par les médias et les politiques dans le cadre d’événements potentiellement traumatiques à dimension collective, les dispositifs de ce type sont mis en place pour dépister, soutenir et prévenir de la survenue des séquelles psychologiques. Quels sont les personnels qui les composent ? Comment fonctionnent ces cellules et quelles sont leurs missions ?
Stress post-traumatique
Rappelons d’abord que, pour chaque individu, le vécu subjectif des événements à potentiel traumatique est singulier, avec des répercussions variables selon le degré d’exposition à l’événement, sa sévérité, l’histoire personnelle de chacun (antécédents traumatiques, violences, carences, anxiété), les ressources internes dont on dispose et du soutien social qu’on perçoit. Les personnes impliquées peuvent ressentir une peur intense, une sidération, un sentiment d’horreur et d’impuissance.
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Lors de l’événement, ou juste après, la plupart des sujets se trouvent dans un état de stress adapté, c’est-à-dire avec des comportements efficaces face au danger. D’autres personnes développent un état de stress dépassé, c’est-à-dire un état de sidération, d’agitation excessive, de fuite panique, ou de comportements automatisés non adaptés au contexte.
Dans les jours suivant l’événement, il est fréquent d’éprouver des difficultés à dormir, avec des cauchemars et des pensées ou images intrusives de la scène traumatique. Ces réactions précoces de stress aigu sont physiologiques et peuvent être qualifiées de normales. Néanmoins, près d’un quart des impliqués, enfants ou adultes, peuvent voir ces symptômes persister et altérer de manière notable leur quotidien. On parle alors de trouble stress aigu dans le premier mois et de trouble de stress post-traumatique (TSPT) au-delà.
Le TSPT est caractérisé par des symptômes de répétition de pensées, d’images et de rêves centrés sur l’événement, des comportements d’évitement avec l’adoption de stratégies et d’efforts importants pour éviter ce qui peut rappeler l’événement (lieu, pensées, activités, personnes…), d’un état affectif marqué par des émotions négatives prédominantes, et de symptômes d’hypervigilance dans un état d’alerte permanente avec des troubles de la concentration et de l’irritabilité.
Ce tableau post-traumatique peut se compliquer de troubles anxieux (généralisation de la peur, phobie…) dans 60 % des cas, de dépression dans 40 % des cas, d’augmentation du risque suicidaire multiplié par quatre, d’addictions voire de manifestations somatiques d’origine psychogène.
Premiers soins psychiques
Créées après la vague d’attentats de 1995 pour proposer une offre de soins adaptée aux blessés psychiques victimes d’événements collectifs à fort potentiel traumatique, les cellules d’urgence médico-psychologique (CUMP) se sont progressivement structurées en réseau national.
Implantées dans chaque siège de SAMU départemental, elles sont localement animées par un psychiatre référent et composées de médecins, infirmiers et psychologues volontaires.
Les cellules d’urgence médico-psychologique interviennent sur demande exclusive du SAMU ou de la préfecture. Elles peuvent intervenir dans l’immédiat, dans les 24 premières heures, ou en post-immédiat jusqu’à un mois après l’événement.
La CUMP se déploie sur place ou à proximité de l’événement, par exemple dans l’établissement scolaire, dans les premières heures qui suivent le drame. Elle reçoit le renfort en personnel de la cellule d’accueil et d’écoute de l’éducation nationale (composée des médecins, infirmiers, psychologues et assistants sociaux de l’éducation nationale). Les objectifs de cette intervention précoce sont d’apporter les premiers soins psychiques aux enfants, adolescents, ou adultes présents. Les principes directeurs de ce type d’intervention sont la proximité, l’immédiateté et la restauration de l’espérance.
Les CUMP déploient un dispositif adapté à chaque situation, en collaboration avec les acteurs de l’éducation nationale et les secours, pour rétablir le plus rapidement possible un cadre sécurisant et lutter contre les images de chaos délétères pour les victimes, en particulier pour les enfants.
Favoriser la décharge émotionnelle
Une première étape, en concertation avec les interlocuteurs de l’établissement, consiste à identifier, chez les enfants et adultes exposés à l’événement, le degré d’exposition à l’événement traumatique.
Cette étape est essentielle pour cibler les différents sous-groupes d’impliqués et adapter les prises en charge en fonction du degré d’exposition. En effet, une prise en charge collective sans cette distinction priverait les témoins directs de la parole, de peur de susciter une détresse supplémentaire chez leurs pairs n’ayant pas assisté à l’événement. Inversement, les témoins indirects pourraient ne pas se sentir légitimes à verbaliser leurs émotions devant leurs camarades ou collègues témoins directs, ce qui les enfermerait dans une souffrance muette.
Les soins immédiats proposés visent à apaiser le stress et l’angoisse générés par l’événement, à atténuer le sentiment d’isolement ou d’impuissance, à reconnaître le préjudice subi et le caractère effroyable et exceptionnel de l’événement, à restaurer le fonctionnement adaptatif et à mobiliser les ressources personnelles.
La deuxième étape consiste à repérer les personnes dont les capacités de contrôle émotionnel ont été débordées, nécessitant une vigilance accrue des professionnels de la CUMP, une intensification des techniques d’apaisement, et un suivi rapproché au décours devant le risque accru de développement de TSPT. Parfois, un transfert en milieu hospitalier peut être organisé lorsque l’état clinique le justifie.
Pour l’ensemble des personnes impliquées, les CUMP utilisent des techniques de « defusing », ou entretien de déchocage, en individuel ou en groupe. Le but est de réduire la détresse en favorisant la décharge émotionnelle par le récit factuel partagé de l’événement, dans un cadre sécure. Cela permet d’initier l’intégration cognitive et émotionnelle de l’événement vécu, d’aider le sujet à reprendre la maîtrise sur ce qui lui arrive, et de le réhumaniser dans sa relation aux autres.
Cette prise en charge souple est non intrusive, permet parfois une amélioration rapide de l’état psychique, et s’accompagne systématiquement d’une information – adaptée aux capacités de compréhension du public pris en charge – sur la possible émergence de symptômes « normaux ou pathologiques » dans les jours suivants. Sont également communiquées les coordonnées de professionnels de santé spécialisés à consulter le cas échéant.
Travailler avec la communauté éducative
La CUMP peut être amenée à intervenir dans les 3 à 10 jours, pour réaliser des Interventions Psychothérapeutiques Post-Immédiates (IPPI). Cette technique psychothérapeutique directive et relativement intrusive nécessite une formation spécifique, et peut être proposée en individuel ou à des groupes de personnes volontaires, homogènes en termes d’exposition, et appartenant au même groupe avant l’événement.
Son but est de faciliter l’intégration de l’événement vécu, tout en limitant les effets potentiellement traumatiques, par la limitation des débordements émotionnels, en légitimant les émotions ressenties et en corrigeant les informations inexactes. Cette intervention favorise la reprise de l’activité et du fonctionnement du groupe préexistant à l’événement. Elle permet aussi le repérage des personnes présentant un TSPT naissant, et de les orienter vers une prise en charge.
Les événements traumatiques sont inoubliables. Leur survenue en milieu scolaire peut marquer durablement l’établissement concerné. Elle implique de sensibiliser l’ensemble des professionnels de l’institution scolaire et de porter une attention spécifique aux personnes touchées par l’événement. Les professionnels de santé veillent sur le risque de réactivation traumatique, qui peut parfois survenir des années plus tard, lors de dates anniversaires, ou lors d’événements de vie plus personnels. Leur mission est alors d’accompagner l’enfant ou l’adulte vers les structures de soins adaptées.
Antoine Bray, Psychiatre au Centre Régional de Psychotraumatologie (CHRU Tours), CUMP 37, Université de Tours et Wissam El-Hage, Professeur de Psychiatrie, Responsable du Centre Régional de Psychotraumatologie CVL , Université de Tours
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.