Armée de l’air et de l’espace : l’exigeant défi du recrutement des pilotes de combat

Publié par Axel Morais, le 19 décembre 2024

Dotée de plus de 40 000 aviateurs employés dans une quarantaine de métiers, l’armée de l’air et de l’espace (AAE) a pour raison d’être l’action dans la troisième dimension, ce qui repose en très grande partie sur les opérations aériennes dont les figures les plus emblématiques sont les pilotes de combat. Chaque année, l’AAE recrute en moyenne 120 pilotes : 70 officiers sous contrat (OSC ; niveau bac) et 50 officiers de carrière sur concours (École de l’Air et de l’Espace ; niveaux bac+2 à bac+5 en fonction de la filière). Lors de ce processus, il s’agit de détecter les candidats qui auront la probabilité la plus forte de réussir une longue et exigeante formation.

Ce choix se fait à travers une procédure de sélection scientifique rigoureuse constituée de différentes épreuves élaborées par l’équipe de psychologues et d’informaticiens du Centre d’études et de recherches psychologiques Air (CERP’Air). En effet, les pilotes de l’AAE ne sont pas seulement sélectionnés pour leurs aptitudes à piloter. Leurs capacités de résilience, c’est-à-dire leurs capacités à surmonter les difficultés, ainsi que leur motivation militaire sont fondamentales.

Compétences non techniques

Les qualités recherchées, que l’on retrouve également au sein de l’US Air Force ou de la Royal Air Force britannique, relèvent de deux grands domaines : la sphère cognitive et psychomotrice ; et la sphère conative, composée des « soft skills » et de la motivation.

Dans la sphère cognitive et psychomotrice, les aptitudes montrant les plus fortes corrélations avec les performances en formation en vol sont l’orientation spatiale, la vitesse perceptive, le raisonnement arithmétique, la répartition de l’attention, l’attention sélective, le contrôle précis des mouvements et la coordination des mouvements des membres.

La forte validité prédictive de ces différentes aptitudes reflète certes le caractère technique du métier de pilote militaire mais ne doit pas occulter l’importance de la sphère conative. En effet, le pilote de combat évolue dans un milieu où la cohésion de l’équipe de travail est capitale. De plus, l’élève pilote doit affronter une formation longue et complexe tout en subissant nombre de contraintes stressantes.

Par ailleurs, une fois les compétences de pilotage maîtrisées, les différences de performances entre les individus s’expliquent par les compétences non techniques dont le rôle est d’importance pour garantir des opérations aériennes sûres et efficaces. Ainsi, de récentes études ont mis en évidence la plus-value de caractéristiques individuelles telles que les compétences sociales, les connaissances sur le métier ou certains traits de personnalité. Par exemple, les individus extravertis et émotionnellement stables résistent mieux au stress de la formation aéronautique.

Plus propre au domaine militaire, le rôle de ressources personnelles telles que le capital psychologique ou la « niaque » (grit en anglais) accroissent la résilience de ces professionnels soumis à des environnements incertains et parfois dangereux.

15 à 20 % de réussite

Le besoin de faire passer un grand nombre d’épreuves à un flux conséquent de candidats a conduit à l’adoption d’une procédure en trois étapes sélectives. Toutes les ressources humaines et techniques nécessaires à l’évaluation des candidats sont concentrées sur la base aérienne 705 de Tours-Cinq-Mars-La-Pile (Indre-et-Loire). Notons qu’à l’instar de toute candidate ou tout candidat postulant à une spécialité de l’AAE, un passage dans un Centre régional de recrutement Air permettra de s’assurer que les personnes ne présentent pas de contre-indication majeure (santé, niveau d’anglais, etc.).

Ainsi, la première étape de la sélection consiste à évaluer le potentiel cognitif des candidats tandis que la deuxième est axée sur les aptitudes psychomotrices. Environ 25 % des personnes accèdent à la troisième et dernière étape dont l’objectif est de mesurer les « soft skills » et la motivation.

Ces qualités sont mesurées à l’aide d’une épreuve de résolution de problème en groupe et de deux entretiens individuels (un avec un psychologue du CERP’Air et un avec un binôme de personnel navigant formé à la conduite d’entretiens). Cette dernière étape n’est pas éliminatoire et peut être repassée sur décision de la commission de recrutement, tout candidat pouvant toujours améliorer, au prix d’un travail sur soi, son projet professionnel ou ses connaissances sur le métier.

En revanche, les deux premières étapes ne peuvent être repassées pour éviter des biais d’évaluation tels qu’un effet de familiarité ou la mémorisation de questions. Au final, 15 à 20 % des candidats auront le privilège de s’asseoir dans le cockpit d’un appareil de l’AAE.

Des processus en mutation

L’aviation a connu un essor technologique fulgurant et bien que les aptitudes de base du pilote n’aient évolué qu’à la marge, les techniques de recrutement des pilotes sont actuellement en pleine mutation avec l’arrivée de la digitalisation et de l’intelligence artificielle.

L’actuelle procédure de sélection des pilotes de l’AAE avait déjà fait l’objet d’une refonte en mai 2018 à la suite de différents travaux de recherche intégrant l’avis des experts métiers comme les pilotes qualifiés. Cependant, la prise en compte de l’humain et le respect du règlement général sur la protection des données viennent aujourd’hui modérer une tendance à la disruption.

L’objectif d’une sélection de pilotes militaires est néanmoins de rester efficace et évolutive tout en tirant le meilleur parti de tous les outils et méthodes existant ou à venir. Aussi le CERP’Air met régulièrement à jour ses épreuves afin de suivre les évolutions techniques requérant de nouvelles compétences telles que la prise en compte d’un nombre de données tactiques en accroissement constant du fait de l’interconnexion des matériels (avions, drones, radars, etc.).

En définitive, cette procédure de sélection exigeante et complexe reste nécessaire à l’AAE pour pourvoir les forces aériennes en personnel fiable et compétent. Cette étape permet également de réduire drastiquement les lourdes déconvenues personnelles générées par un arrêt de la progression une fois en poste. Bien que rare, cet événement peut être traumatisant pour l’apprenti ou l’apprentie pilote qui voit alors son rêve prendre fin.

Article issu de The Conversation et rédigé par :

Frédéric Choisay - Docteur en psychologie du travail, EE 1901 QualiPsy, Université de Tours
Evelyne Fouquereau
- Professeure des Universités en Psychologie du travail, Directrice EE 1901 QualiPsy, Université de Tours