Anxiété, dépression… Les fausses couches engendrent des problèmes psychologiques encore trop souvent négligés

Publié par Axel Morais, le 19 décembre 2024

En moyenne, une femme sur deux est confrontée à une fausse couche dans sa vie, selon les chiffres du Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF). Certaines en subissent même plusieurs au cours de leur existence.

De nombreuses recherches ont été menées pour déterminer les causes des fausses couches et améliorer leur prise en charge médicale. En revanche, leurs conséquences en termes de santé mentale demeurent peu étudiées.

Pour mieux les comprendre, notre équipe a mené un travail de recherche au sein de la population française. Voici ce que ces travaux nous ont appris.

Les fausses couches concernent jusqu’à un quart des grossesses

Selon le CNGOF, une fausse couche se définit par l’expulsion spontanée d’un embryon ou d’un fœtus avant la 22e semaine d’aménorrhée (qui constitue le seuil de viabilité en France). Une fausse couche est dite « précoce » lorsqu’elle survient avant la 14e semaine, et tardive si elle se produit entre la 14e et la 22e semaine d’aménorrhée. La prévalence des formes précoces est élevée, touchant 12 à 24 % des grossesses. Les formes tardives sont plus rares, et concernent 1 % des grossesses.

Les causes des fausses couches sont nombreuses. Citons notamment, pour les fausses couches précoces, un âge maternel ou paternel supérieur à 35 ans, des problèmes de réplication du matériel génétique de l’embryon, la consommation de tabac, d’alcool, une exposition aux radiations. Les causes des fausses couches tardives sont généralement obstétricales et gynécologiques, et cet évènement peut se produire de façon unique ou se répéter au cours de différentes grossesses.

Si le traitement médical des fausses couches est désormais bien connu, leurs conséquences psychologiques le sont moins. Pourtant, elles ne sont pas négligeables.

Dépression et troubles anxieux

Quand une fausse couche survient au cours d’une grossesse investie très tôt par le couple, elle marque l’interruption brutale de projections dans l’avenir, pour soi, pour son projet de vie et de famille.

Les rares travaux de recherche qui ont été menés au niveau international indiquent que les femmes qui ont vécu une fausse couche peuvent développer non seulement des symptômes anxieux ou dépressifs, mais aussi des états de stress post-traumatiques.

Des études prospectives ont elles aussi révélé l’existence de symptômes dépressifs et majoritairement anxieux 13 mois après une fausse couche. D’autres recherches ont montré que les scores de dépression, qui culminent à 6 mois, baissent ensuite progressivement, excepté pour les femmes qui ne parviennent pas à accéder à la maternité. Pour ces dernières, la symptomatologie dépressive persiste, avec un rebond entre 7 et 12 mois.

Les conséquences psychologiques de la fausse couche dépendent de divers paramètres : accès à l’information, niveau de reconnaissance par les soignants de la perte vécue, insatisfaction quant à l’accompagnement prodigué, ou encore soutien social reçu, notamment par le partenaire. Nos propres travaux ont par ailleurs permis d’identifier que les séquelles psychologiques de la fausse couche peuvent être assimilées à un trouble de l’adaptation, un trouble fréquent en psychiatrie.

Fausse couche et trouble de l’adaptation

Le trouble de l’adaptation survient lorsqu’une personne a du mal à s’ajuster à un évènement de vie éprouvant. Transitoire, il est parfois banalisé, alors même qu’il nécessite une prise en charge psychologique adaptée, compte tenu de son association à un risque suicidaire élevé.

Dans notre étude, nous avons comparé les scores au questionnaire du trouble de l’adaptation (ADNM-Adjustment Disorder New Module – 20 items) de personnes ayant vécu une fausse couche et de personnes ayant vécu un autre évènement de vie difficile, tel que le décès d’un proche, une rupture, etc.

Les résultats montrent que les personnes ayant vécu une fausse couche présentent le même niveau de difficultés psychologiques que celles ayant vécu un autre évènement de vie stressant. De plus, l’analyse des réponses au questionnaire révèle que 60 % des personnes ayant vécu une fausse couche présentent un trouble de l’adaptation.

Parmi les facteurs étudiés lors de cette étude, nous nous sommes aussi intéressés aux compétences psychologiques, telles que les capacités de régulation émotionnelle. Nous avons observé que des compétences psychologiques plus faibles étaient associées à un plus haut niveau de trouble de l’adaptation. Ces résultats suggèrent de possibles axes de travail à proposer à nos patients, basés sur les thérapies cognitivo-comportementales.

Travailler sur les émotions et la relaxation

La psychoéducation pourrait aider les couples concernés par une fausse couche à développer des outils afin de mieux identifier leurs émotions, les exprimer puis les réguler en retrouvant du contrôle sur celles-ci.

Concrètement, il s’agirait de proposer des consultations ou des ateliers en groupes au cours desquels les couples seraient informés sur les émotions (colère, tristesse, stress) qu’ils peuvent ressentir suite à cet évènement. Ils pourraient également être invités lors de ces temps, à trouver des ressources pour y faire face.

Proposer des techniques de relaxation permettrait au patient de se centrer sur les sensations corporelles agréables et sur le sentiment de détente associé, et ainsi de diminuer leur anxiété.

Lors de l’évaluation psychologique, questionner le patient sur la façon dont la fausse couche vient s’inscrire dans son parcours et son projet de vie peut également permettre de dégager d’autres thématiques de travail. Il est important de déceler un éventuel sentiment de culpabilité, reposant sur des croyances ou des représentations en lien avec la fausse couche (« j’aurais dû me reposer davantage », « tout est de ma faute »).

Ces dernières pourraient être prises en charge grâce à des techniques de restructuration cognitive, une approche qui permet de travailler sur la prise de conscience par le patient de ses pensées négatives et lui apprend à transformer ces pensées par d’autres pensées, plus rationnelles et plus neutres.

Qui plus est, envisager la fausse couche comme un trouble de l’adaptation permet aussi de proposer des thérapies structurées sur les souvenirs douloureux de l’évènement, telles que la thérapie narrative. Cette dernière, aussi appelée thérapie d’exposition par la narration, permet au patient de revenir en détail sur l’évènement douloureux en précisant les émotions, les sensations corporelles, les pensées et les comportements qui l’ont traversé.

L’exposition répétée à ce script narratif, en séance, dans un lieu sécurisé, est l’une des bases de la thérapie cognitivo-comportementale et permet de « digérer » émotionnellement les évènements difficiles. De la même manière, la thérapie EMDR (eye movement desensitization and reprocessing) pourrait être proposée.

Une loi pour mieux prendre en charge les couples confrontés à une fausse couche

Fréquentes, les fausses couches sont parfois banalisées par l’entourage et les soignants. Elles n’en restent pas moins des évènements douloureux, dont la prise en charge psychologique, dans les mois qui suivent, est cruciale.

Pour favoriser l’accompagnement des couples confrontés à une fausse couche, une nouvelle loi a été promulguée le 8 mars 2023.

Ce texte prévoit la mise en place d’un « parcours interruption spontanée de grossesse », associant médecins, sages-femmes et psychologues, hospitaliers et libéraux, afin d’améliorer le suivi médical et psychologique des personnes confrontées à une fausse couche, à partir du 1er septembre 2024. Inclure les partenaires dans la prise en charge permettra de ne plus méconnaître leur ressenti face à cet évènement de vie, et de les impliquer dans la prise en charge proposée.

Ladite prise en charge consiste notamment en un accès facilité à un suivi psychologique, pouvant se faire via le programme Mon Soutien Psy (dans ce cas, sages-femmes et médecins peuvent prescrire des séances). La formation des soignants sur les répercussions psychologiques de la fausse couche, et sur la douleur que cela peut engendrer, sera aussi renforcée.

La loi prévoit également de pouvoir bénéficier d’indemnités journalières sans délai de carence pendant leur arrêt maladie, ce qui constitue un progrès important pour le droit des femmes.

Parallèlement à cette évolution législative, les recherches sur les difficultés d’adaptation à la suite de la fausse couche doivent se poursuivre. Grâce aux connaissances qu’elles permettront d’accumuler, il sera possible de proposer des programmes de prise en charge spécialisés pour aider les couples à surmonter au mieux cette épreuve.