ECAD : Etre éco-délégués au collège et au lycée : quels moyens d'action ?
Publié par Evelyne Bois, le 18 juillet 2023 1.1k
Evelyne Bois, Université d’Orléans; Aurélie Zwang, Université de Montpellier et Mandarine Hugon, Université d’Orléans
Depuis 2020, chaque classe de collège et de lycée doit avoir élu un ou deux éco-délégués. Ils sont en quelque sorte des porte-parole des enjeux du développement durable auprès de leurs camarades et peuvent mettre en œuvre des actions en établissement telles que l’installation de composteurs ou la réduction du gaspillage alimentaire.
Notre analyse des cadrages institutionnels complétée par l’étude des discours tenus par les élèves révèle une tension entre injonctions et réalités du terrain. Prendre en compte le point de vue des élèves, en pleine construction de leur identité dans un monde en transition, met en lumière l’écart entre l’urgence de la situation désormais largement appréhendée par la jeune population et les avancées modestes dans les établissements scolaires.
Les éco-délégués : des demandes fortes de l’institution
En lien avec la politique de labellisation des établissements scolaires, le terme « éco-délégué », sans être précisément défini, apparaît pour la première fois en 2013 dans un texte ministériel. Aujourd’hui, les élèves éco-délégués sont des appuis pour atteindre les objectifs de développement durable (ODD).
Ils sont incités à proposer leurs projets au sein des diverses instances représentatives aux échelles de l’établissement et de l’académie (comités de pilotages, conseils de vie collégien ou lycéen). Au niveau national, leurs actions peuvent être reconnues par le prix de « l’action éco-déléguée de l’année ») et mises en valeur comme exemples sur le site du ministère. Les éco-délégués doivent aussi acquérir des compétences qu’ils pourront faire valoir en tant que futurs citoyens et « acteurs économiques »
Le vade-mecum de l’éducation au développement durable précise que les éco-délégués ont pour rôle d’incarner les changements de comportements individuels et collectifs :
« Les éco-délégués, jeunes sentinelles volontaires en mouvement pour le développement durable, engagent leur disponibilité et leur implication par la définition et la poursuite d’objectifs quantifiables et/ou observables et l’adoption d’une attitude modélisante. »
Ces recommandations cadrent principalement l’éducation au développement durable dans une éducation aux bons comportements (écogestes) et à la bonne gestion de l’établissement scolaire (économie d’énergie, tri des déchets…). Les élèves se voient dépositaires d’une forte responsabilité vis-à-vis des problèmes sociaux et environnementaux.
Des petites actions mais pas à la hauteur des attentes
Afin de questionner l’expérience et le point de vue des éco-délégués, des entretiens auprès de 22 collégiens et lycéens ont été réalisés en 2021-2022, dans des contextes scolaires variés.
Quel que soit le niveau scolaire, les éco-délégués interrogés se sentent responsables et veulent agir dans leur établissement scolaire pour « aider/préserver la planète » en engageant leurs camarades et les adultes qui les entourent : « Toutes les actions au collège, j’essaie d’y faire participer ma famille » (collégienne).
Les élèves disent être amenés à faire des petites actions dans la classe (communiquer ; ramasser les papiers ; éteindre les lumières et ordinateurs…) et dans l’établissement (installer des poubelles de recyclage, trier des déchets, limiter le gaspillage alimentaire, correspondant plus à des éco-gestes liés à des pratiques anecdotiques qu’à des projets avec une portée sur le long terme.
Cela fait bien référence aux exemples d’actions proposées par les guides des éco-délégués, édités en 2021 par le ministère de l’Éducation nationale et l’Agence de l’environnement et la maîtrise de l’énergie. Les écodélégués y sont désignés comme étant des « décideurs », des « relais », des « garants », des « copilotes » et enfin, des « chefs de projet en herbe ». Ces termes et les illustrations employées construisent l’image d’un éco-délégué tel un « héros ordinaire ».
L’absence de réflexivité sur les actions réalisées, perçue chez les élèves interrogés, pourrait laisser supposer que le dispositif s’inscrit dans une orientation non « critique » de l’éducation, dans laquelle les élèves seraient des réceptacles des prescriptions comportementalistes de l’institution scolaire.
Des engagements mais des manques de moyens
L’engagement des éco-délégués interrogés est lié à une motivation forte d’agir pour l’environnement, de se sentir utile et d’être en accord avec les idées défendues pour qu’elles soient appliquées dans leurs différents lieux de vie : « Je me sens très concernée par le changement climatique et j’avais vraiment envie d’agir pour changer les choses », observe ainsi une lycéenne. « On se rend compte qu’il y a des problèmes, qu’il faut aider notre planète et même la biodiversité, etc. Et je pense qu’il faut quelqu’un pour représenter ça », ajoute un lycéen.
C’est bien une vision à grande échelle qui semble motiver les élèves, au-delà des actions au sein d’un seul établissement scolaire. Ces élèves ont des projets à long terme, visant notamment une ouverture au monde et parviennent à les concrétiser dans certains établissements (collectes pour des associations ; marche de la propreté ; « solidarité pour le Congo »).
Un décalage est donc constaté entre leurs aspirations et les objectifs de l’institution, visant l’application des textes officiels, dont la labellisation des établissements scolaires. D’ailleurs, les élèves interrogés n’ont pas connaissance de l’existence de cette labellisation.
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Les rôles prescrits par l’institution scolaire ne correspondent pas toujours à la réalité du terrain. De nombreuses contraintes semblent empêcher les élèves de réaliser pleinement leurs missions.
Les élèves interrogés signalent notamment leurs difficultés à communiquer, à valoriser leurs actions auprès des autres élèves : « je leur en parle vite fait, mais je pense pas qu’ils y font attention, je crois qu’ils s’en fichent un peu », note un collégien. En outre, le rôle d’éco-délégué perd en légitimité lorsque celui du délégué de classe est considéré comme plus important : « les gens sont souvent en train de nous dire qu’on est un peu inutiles, que de toute façon il y a les délégués qui proposent déjà des idées ».
Nous constatons par ailleurs des obstacles à la prise de décision. Quand les collégiens disent avoir du mal à faire des choix sur les actions à réaliser, les lycéens rappellent leurs contraintes de temps mais aussi l’absence de diagnostics qui permettraient de réfléchir à des projets liés aux besoins réels de l’établissement.
Quel espace de liberté créative leur est-il offert afin qu’ils puissent devenir « acteurs et auteurs », combiner l’action et la réflexion, et ainsi participer au changement ? Proposer cet espace implique un réel changement des pratiques éducatives. Il paraît essentiel de questionner la place accordée aux éco-délégués en fonction des contextes scolaires.
La nécessité d’une meilleure intégration dans l’établissement
Nos études montrent que les éco-délégués sont davantage motivés et sont force de propositions pour agir lorsque les professionnels leur font confiance, les considèrent comme capables de penser et d’agir, les accompagnent dans leurs questionnements, valorisent leurs actions au sein de l’établissement, notamment en explicitant leurs rôles et missions.
De même, la participation des éco-délégués aux instances permet de découvrir le fonctionnement de l’établissement, de savoir à qui s’adresser pour la réalisation de projets et de s’adapter aux besoins de l’établissement. Enfin, le travail collectif réalisé lors de réunions ou de formations leur permet de faire des rencontres (ouverture aux autres), de se sentir appartenir à un groupe et valorisés en tant que personne à part entière.
Considérer [la parole des élèves] et développer des politiques d’établissements volontaristes paraît essentiel pour permettre aux écodélégués d’être pleinement acteurs mais aussi pour développer une éducation au développement durable adaptée à leurs fortes attentes. Pour ce faire, les professionnels sont essentiels et il parait indispensable de questionner désormais la façon dont ils considèrent leur rôle d’accompagnement auprès des éco-délégués.
Evelyne Bois, Maîtresse de conférences en sciences de l'éducation et de la formation, Université d’Orléans; Aurélie Zwang, Maître de conférences en sciences de l'éducation et de la formation. Éducation à l'environnement. Didactique des sciences, Université de Montpellier et Mandarine Hugon, Maître de conférences psychologie sociale du développement et de l'éducation, Laboratoire ERCAE, Université d’Orléans
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
Financement par le projet APR-IR ECAD pour Evelyne Bois et Mandarine Hugon