Témoignage : Compostou, une recherche-action au service des écosystèmes et de la population
Publié par Université de Tours, le 8 octobre 2020 990
Cet article est republié à partir de The Conversation. Lire l’article original.
Maître de conférences en biologie, Université de Tours.
En janvier 2020, l’Institut national de la propriété industrielle (INPI) a accordé à quatre inventeurs tourangeaux un brevet français sur un composteur d’un nouveau genre, le Compostou. La délivrance de ce brevet ne récompensait pas uniquement un dispositif inventif, nouveau et industrialisable. C’était aussi l’aboutissement d’une démarche scientifique et citoyenne originale qui a vu chercheurs et militants en prévention des déchets travailler étroitement ensemble pendant trois ans.
Le Compostou a été conçu par une équipe pluridisciplinaire réunissant un biologiste, un ingénieur agronome, un chimiste et un menuisier. Partant du constat qu’une litière forestière dégrade efficacement et sans nuisance la matière organique, les quatre inventeurs se sont inspirés du fonctionnement d’une hêtraie pour concevoir un nouveau modèle de composteur partagé.
Comme la litière de la hêtraie, le Compostou accueille une microfaune abondante et diversifiée et permet une stratification des dépôts de matière organique en horizons pédologiques fonctionnels. Comme tout composteur bien géré, il permet la transformation de biodéchets, plutôt humides et azotés, et de matière sèche, plutôt carbonée, en un compost sain et équilibré. Ce qui le distingue en revanche, c’est la démarche de recherche-action qui a abouti à sa création.
Partir des représentations
Dans une approche scientifique classique, les chercheurs auraient tenté de modéliser le fonctionnement d’un composteur partagé afin d’en isoler les paramètres les plus saillants et d’en optimiser le fonctionnement à petite échelle, en conditions contrôlées. À la fin d’une période d’expérimentation plus ou moins longue, les scientifiques auraient diffusé, sous la forme d’un article de recherche ou d’une conférence, une série de recommandations théoriques et pratiques censées optimiser le fonctionnement de ce type d’appareil.
Dans le cas du Compostou, le principe a été de partir des représentations des acteurs impliqués dans le compostage de proximité (utilisateurs, élus, techniciens de collectivités, maîtres-composteurs, représentant de services de l’état…), réunis en table ronde afin que soient identifiés les freins et les leviers actuels au développement de cette pratique.
L’enjeu est de taille : le compostage permet en effet de réduire de 25 40 % le volume de nos poubelles, il est créateur de lien social et permet le retour au sol d’un amendement de qualité. Pourtant, il peine à se développer en France, en partie à cause d’un manque de formation dans la population urbaine qui peut engendrer des mésusages.
La température d’un composteur classique, ou « chaud », peut monter à plus de 55 °C, sous l’effet d’un fort développement de bactéries thermophiles (qui apprécient les températures élevées) grâce au potentiel énergétique des biodéchets frais. Lorsque les conditions d’humidité et d’oxygénation sont mal contrôlées, des nuisances (mauvaises odeurs, animaux indésirables) peuvent apparaître pendant ou après cette phase de prolifération bactérienne.
Les inventeurs ont constaté que cette méthode de compostage, bien qu’efficace et largement préconisée par l’ADEME (agence française de la transition écologique) et le Réseau compost citoyen (principale fédération française des accompagnateurs au compostage de proximité), ne convient pas à tous les utilisateurs. En particulier, elle exige une certaine discipline et des compétences qui ne peuvent être acquises que par une pratique techniquement très encadrée.
En cherchant à simplifier les pratiques pour mieux intégrer les utilisateurs débutants, négligents ou trop faibles pour procéder à des brassages profonds du compost, les inventeurs du Compostou ont formulé l’idée que « moins serait peut-être mieux » : moins de bactéries, moins d’humidité, moins de brassages manuels, moins d’épaisseur de biodéchets aussi, afin que le compost ne soit pas confiné dans le composteur et puisse « respirer ».
Innovation économique
La méthode mise au point a ainsi abouti à une quasi-absence d’élévation de température en phase de décomposition de la matière organique. Or ce compostage « froid » s’est révélé très favorable aux animaux décomposeurs (acariens, collemboles, cloportes, insectes, myriapodes, annélides, mollusques…) qui pullulent rapidement dans le Compostou. Un compost sain également, car les organismes pathogènes semblent y être en forte compétition avec les flores intestinales des animaux décomposeurs.
Par sa conception et son fonctionnement, le Compostou contribue donc à deux services écosystémiques importants : la décomposition de la matière organique (service de régulation) et le maintien de la biodiversité du sol (service de soutien).
Le concept de recherche-action encourage au contraire l’observateur à s’impliquer auprès de son sujet pour mieux l’appréhender et le faire évoluer. Ce faisant, l’observateur assume d’être objectivement engagé dans un processus de transformation de l’objet étudié et s’impose un engagement objectif dans la collecte de données. La recherche-action est très répandue en sciences humaines et sociales en tant que méthodologie d’enquête et moyen de transformation sociale, de la part des intellectuels les plus engagés. Il est plus rare de voir cette démarche mise en œuvre par des chercheurs issus des sciences et techniques.
Pourtant cette approche, transposable à bien des sujets, peut permettre de revitaliser une recherche académique parfois trop éloignée des attentes sociétales. En outre, elle oblige le scientifique à s’interroger en permanence sur le sens de son engagement et à être particulièrement attentif aux normes de son éthos (universalisme, collégialité, désintéressement et scepticisme, selon le sociologue Robert K. Merton), là où une démarche plus ordinaire ne l’aurait conduit qu’à rechercher une certaine exhaustivité statistique.
Non, le rôle de chercheur ne se limite pas à la comparaison de moyennes basées sur au moins 30 valeurs. Compte tenu des processus décisionnels vitaux dans lesquels il peut être engagé, des données auxquelles il a accès, de la robustesse des méthodologies et des outils d’analyse qu’il peut maîtriser, le scientifique peut pleinement apporter une contribution à la transformation positive du monde.