Histoire et futur des fibres optiques et de leurs capteurs
Publié par Stéphane Pellerin, le 10 novembre 2018 3.8k
>> Image de Une : Les fibres optiques sont aujourd'hui partout dans nos vies. Christopher Burns / Unsplash, CC BY-SA
Stéphane Pellerin, Université d’Orléans; Maxime Wartel, Université d’Orléans; Véronique Massereau, Université d’Orléans et William Desdions, Université d’Orléans
Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la Science 2018 dont The Conversation France est partenaire. Retrouvez tous les débats et les événements de votre région sur le site Fetedelascience.fr.
Elles ont envahi le monde de la télécommunication en quelques années, et la plupart des données que vous émettez et recevez avec Internet circulent par elles : les fibres optiques sont au cœur des échanges de données à l’échelle mondiale. Mais dès leur apparition, il y a une quarantaine d’années, au-delà même du transport de la lumière, leurs potentialités dans le domaine de l’instrumentation et de la mesure en milieu sévère (notamment des environnements dangereux pour l’homme : haute température, fort rayonnement électomagnétique, rayonnements dangereux, milieux difficilement accessibles…) ont été pressenties. Et depuis quelques années, avec le développement des technologies, les capteurs à fibres optiques sont devenus une réalité scientifique et industrielle, dans des domaines aussi variés que le génie civil, le médical, l’aéronautique, voire la préservation du patrimoine. Parmi les technologies diverses mises en œuvre, celle des capteurs à réseau de Bragg est probablement la plus répandue…
Du cylindre en verre à la Fibre optique…
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le principe de la fibre optique est connu et appliqué depuis la nuit des temps : déjà dans l’Antiquité, les Grecs anciens réalisaient des objets décoratifs en verre qui déviaient la lumière.
C’est bien plus tard, en 1854, qu’un physicien irlandais, John Tyndall, démontrera le principe de la réflexion totale, qui est à la base de la fibre optique. Son expérience est simple : de l’eau est versée dans un récipient dont la paroi est percée. L’eau sort donc par le trou. En éclairant ce trou depuis l’intérieur du récipient, les faisceaux lumineux qui y entrent sont piégés dans le jet d’eau. Cette expérience a ensuite été reproduite et améliorée, notamment grâce à l’apparition des lasers, et est connue sous le nom de « Fontaine lumineuse » ou « Fontaine laser ».
Il faudra attendre les années 1950 pour que les premières fibres optiques soient utilisées en médecine, principalement en endoscopie. Mais les travaux qui marqueront un tournant dans l’histoire de la fibre optique sont ceux de Charles Kao, qui en 1966, avec son collègue George A. Hockham, associera laser et fibre optique pour réaliser la première communication par fibre optique, et montrera par la suite que la silice vitreuse (SiO2), matériau de très grande pureté, était un candidat idéal pour la réalisation de fibre de verre à faible perte en ligne. Considéré comme le « père des communications par fibre optique », il reçu le prix Nobel de Physique en 2009 « pour ses réalisations remarquables en matière de transmission de la lumière dans les fibres pour la communication optique. ». Depuis ses travaux, les procédés de fabrication des fibres optiques ont été fortement améliorés afin de minimiser les pertes de signal en ligne. Aujourd’hui, les fibres optiques ont une atténuation proche de l’atténuation théorique des oxydes de silicium.
Principe et constitution d’une fibre optique
L’indice de réfraction du vide est 1 : la célérité de la lumière y est de 299 792 458 m/s, soit environ 300 000 km/s : c’est la plus grande vitesse qui puisse exister, selon la théorie d’Einstein. Dans l’eau, d’indice de réfraction proche de 1,33, la vitesse de la lumière est plus faible : 225 410 km/s ; dans le verre de silice, d’indice de réfraction 1,46, elle est approximativement de 205 340 km/s.
Le phénomène physique exploité dans les fibres optiques s’appelle la réflexion totale. Prenons un rayon lumineux qui se propage dans un milieu transparent (l’air, l’eau, ou le verre, par exemple), et qui atteint un second milieu transparent. Ces milieux ont tous deux un indice de réfraction donné, caractéristique de la vitesse de la lumière dans le milieu. À l’interface entre les deux milieux, le rayon lumineux peut soit passer dans le second milieu en étant dévié (réfraction), soit « rebondir » sur l’interface (réflexion). Dans une fibre optique, on cherche à minimiser et idéalement à annuler la réfraction, pour que toute la lumière soit réfléchie : dans ce cas la réflexion est dite totale. Mais pour cela, une condition impérative : la réflexion doit se faire d’un milieu plus réfringent vers un milieu moins réfringent (milieu d’indice supérieur vers milieu d’indice plus faible).
Une fibre optique se compose donc essentiellement de deux parties : un cœur, généralement en silice vitreuse, assurant la propagation du signal lumineux, et une gaine optique en silice dopé, d’indice de réfraction inférieur à celui du cœur pour assurer la réflexion totale du signal, sous réserve d’un angle adéquat en entrée de fibre. Le tout est recouvert d’une ou plusieurs gaines protectrices, généralement en plastique, qui n’interviennent en rien dans la propagation de la lumière.
Les fibres à réseaux de Bragg
Les avantages des fibres optiques sont nombreux : disponibilité à faible coût, immunité électromagnétique, faible intrusivité, faibles pertes du signal, fonctionnement en environnement difficile, sécurité intrinsèque. Ils en ont rapidement fait des candidats pour la mesure et la surveillance à distance et à haute résolution, et de nombreuses technologies, associées à l’essor des lasers, ont été développées : interférométriques, à diffusion Brillouin ou Raman, ou à réseaux de Bragg.
Le principe des réseaux de Bragg a été découvert en 1978 par Ken O’Hill : en faisant interférer deux faisceaux laser dans la fibre, il a constaté une perte d’intensité du signal due à la formation d’un réseau au cœur même de la fibre. Il faudra ensuite attendre 1988 et les travaux de Meltz et Morey pour voir apparaître la photoinscription par rayonnement UV (« insolation ») de réseaux de Bragg directement dans le cœur de la fibre depuis l’extérieur.
En 1993, O’Hill et son équipe proposent une nouvelle technique, qui est devenue aujourd’hui la plus employée en production en raison de sa bonne reproductibilité et de sa « simplicité » de mise en œuvre : les masques de phase, systèmes interférentiels par division d’amplitude basés sur l’utilisation d’un réseau gravé sur une lame de silice (le masque !) placée au quasi-contact de la fibre à insoler.
Un réseau de Bragg est une structure microscopique réalisée dans le cœur d’une fibre optique, et qui consiste en une modulation périodique et longitudinale de l’indice de réfraction du cœur de la fibre. Une telle structure se comporte comme un miroir sélectif, pour une bande spectrale très fine centrée autour d’une longueur d’onde caractéristique, alors qu’il reste transparent pour tout le reste du spectre. Cette longueur d’onde caractéristique appelée « longueur d’onde de Bragg », dépend directement à la fois de la période de la microstructure (pas du réseau) et de l’indice de réfraction effectif dans le cœur de la fibre.
Un tel réseau de Bragg possède des caractéristiques uniques pour travailler comme capteur, puisque toute déformation de la fibre, modifiera de façon intrinsèque la longueur d’onde de Bragg en influant sur un de ses deux paramètres : une extension, une compression ou une torsion de la fibre modifiera le pas du réseau de la fibre ; une variation de température modifiera essentiellement l’indice du cœur, et dans une moindre mesure la pas du réseau du fait de la dilatation thermique de la fibre. Dans tous les cas, la modification de la longueur d’onde de Bragg générée par la contrainte, pourra être mesurée en réflexion, voire en transmission, par le passage d’une source lumineuse dans la fibre, et corrélée à la cause de cette contrainte.
Un des principaux avantages de ce type de capteur optique, est la possibilité de les multiplexer, en en inscrivant plusieurs sur une même fibre optique, rapprochés ou très éloignés, tous actifs simultanément, qu’ils mesurent la même grandeur physique ou non, avec la seule condition que chacun soit adapté à une longueur d’onde de Bragg différente. Autrement dit, il est possible de former plusieurs réseaux de Bragg, réfléchissant des longueurs d’onde différentes, sur une seule et même fibre. Cela permet de mesurer avec une même source lumineuse à large bande, plusieurs grandeurs avec la même fibre, ou de mesurer une grandeur à plusieurs endroits simultanément.
De par leurs caractéristiques, et en utilisant un conditionnement approprié, les fibres à réseau de Bragg permettent ainsi de mesurer avec une résolution élevée, des grandeurs comme la température ou la contrainte, mais aussi la pression, l’accélération, la force, l’inclinaison, le déplacement, la courbure, etc., et ont su trouver bon nombre d’applications. Citons par exemple le suivi de l’état des infrastructures : En intégrant une fibre à réseau de Bragg dans du béton, il devient possible de mesurer et surveiller les déformations subies par une structure (c’est par exemple le cas du Pont Saint Jean, à Bordeaux). Il devient alors possible de détecter des défauts de structure simplement en émettant un faisceau de lumière à large bande dans la fibre.
À une échelle bien différente, les toiles anciennes sont des pièces d’art fragiles, sensibles à leur environnement. En 2012, des chercheurs de Cracovie (Pologne) ont montré que, en raison de leur faible temps de relaxation et malgré certains inconvénients liés notamment à la fixation du capteur sans perturbation ni endommagement du support, les fibres optiques à réseau de Bragg étaient utilisables comme capteurs de déformation pour surveiller les textiles historiques ou les peintures sur toile. Il s’agissait pour eux d’évaluer les risques environnementaux sur ces œuvres d’art (température et humidité relative de l’air ambiant, contraintes mécaniques extérieures lors de transport) et d’utiliser les informations obtenues pour prévenir leurs dégradations en conditions réelles.
Stéphane Pellerin, Professeur, Université d’Orléans; Maxime Wartel, Maître de Conférences, Université d’Orléans; Véronique Massereau, Professeur 2nd classe, Université d’Orléans et William Desdions, Doctorant, Université d’Orléans
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.