En Sologne, la biodiversité est-elle menacée par les clôtures ?
Publié par Christophe Baltzinger, le 18 octobre 2018 2k
>> Image de Une : Une coulée de sangliers sous une clôture (la coulée désigne le passage répété du gibier sur une même piste) au domaine de Chalès, en Sologne. Christophe Baltzinger/Irstea, Author provided
Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la Science 2018 dont The Conversation France est partenaire. Retrouvez tous les débats et les événements de votre région sur le site Fetedelascience.fr.
La moitié de la Sologne (500 000 ha) est couverte de forêts et les deux tiers de ce territoire sont classés au titre de la directive Habitats, une directive européenne pour la conservation des espaces naturels et des espèces de faune et de flore sauvage. Sur une image satellite, la Sologne située entre les cours de la Loire et du Cher, se repère aisément. Elle couvre 126 communes sur 3 départements : le Cher, le Loir-et-Cher et le Loiret de la région Centre–Val de Loire. Cette région naturelle est aussi caractérisée par un statut foncier majoritairement privé et une forte dynamique d’engrillagement, phénomène qui prend de l’ampleur et la caractérise, avec notamment l’apparition du néologisme « solognisation » qui signe le morcellement du territoire par la multiplication des clôtures.
L’émergence d’un débat de société autour des clôtures de Sologne
De 2010 à 2012, le débat de société était particulièrement animé autour de cette question. Un article en 2010 dans la revue Faune Sauvage décrit ainsi « une dynamique préoccupante dans le Loiret » liée à la fragmentation du territoire par les clôtures et à ses conséquences pour les mouvements du cerf. Un reportage « Sciences » sur TF1 en février 2011, intitulé « Ces animaux sauvages victimes des clôtures » fait état de 1 600 km de clôtures. La même année dans la presse régionale, une série d’articles alimentent un dossier spécial dans Le Petit Solognot sur les grandes clôtures. Ce contexte aboutit à une étude confiée au cabinet de médiation territoriale Trans-formation Consultants par le Syndicat mixte du Pays de Grande Sologne (28 communes) et qui s’intitule « Faire face aux engrillagements en Grande Sologne ». Elle fait état de 670 km de clôtures visibles du bord de route. En 2012, le documentaire Une maille de trop rassemble 350 personnes lors de son avant-première à La Ferté-Imbault.
Dans le même temps, l’association « Les amis des chemins de Sologne » lutte localement pour la sauvegarde des chemins ruraux. Par ailleurs, la politique publique nationale Trame verte et bleue, issue du Grenelle de l’Environnement en 2007 et destinée à enrayer le déclin de la biodiversité, se met en place à l’échelle du territoire au travers des Schémas régionaux de cohérence écologique afin de favoriser les continuités écologiques, c’est-à-dire pour que les espèces puissent circuler librement. Un premier constat en région Centre–Val de Loire montre que ces continuités écologiques sont contraintes par la présence des clôtures.
Le projet Dysperse
Ce contexte général nous a mené, à Irstea, à proposer le projet de recherche Dysperse, financé de 2012 à 2015 par la région Centre–Val de Loire. Notre objectif était de fournir des données écologiques objectives sur la biodiversité pour alimenter le débat citoyen sur la fragmentation du territoire par les clôtures en Sologne, contribuer à la concertation au sujet de l’engrillagement en Sologne et aider les élus locaux et acteurs du territoire face à cette dynamique d’engrillagement (Baltzinger et coll. 2016a). Comme notre équipe de recherche s’intéresse au rôle des ongulés sauvages (cerf, chevreuil et sanglier) dans le fonctionnement des écosystèmes forestiers, nous avons décidé de tirer profit du réseau de clôtures en Sologne pour comprendre comment ces clôtures affectaient différents compartiments des écosystèmes forestiers, à savoir : i) les déplacements des ongulés sauvages, ii) leur abondance et la pression alimentaire qu’ils exercent sur les plantes, iii) la diversité des plantes du sous-bois et des oiseaux qui dépendent de la végétation à la fois pour se nourrir et se reproduire.
L’impact des clôtures sur les déplacements des ongulés sauvages
Comment étudier l’effet des clôtures sur les déplacements des ongulés sauvages ? Premièrement, nous avons analysé les facteurs expliquant les collisions pour chacun des trois ongulés sauvages : cerf, chevreuil et sanglier. À l’échelle des communes, plus les clôtures que les animaux ne peuvent pas sauter sont abondantes, plus elles limitent le risque de collisions pour le cerf, alors que nous observons une tendance inverse pour le sanglier, pour lequel ces clôtures de 1,20m de hauteur restent tout de même perméables à leur base et les piègent la nuit sur la chaussée. Le risque de collisions avec le chevreuil quant à lui ne dépend pas de la densité de ces clôtures – sans que l’on puisse l’expliquer pour le moment.
Dans un second temps, avec l’aide des chasseurs de Sologne, nous avons analysé la diversité génétique des populations de cerfs de Sologne pour définir si les clôtures limitaient leurs déplacements et ainsi la reproduction. Nous avons pu montrer que les principaux freins aux déplacements des cerfs en Sologne était l’axe nord-sud constitué par la voie ferrée, la départementale D2020 et l’autoroute A71, et que les clôtures autour des propriétés n’avaient qu’un effet marginal.
Finalement, à l’échelle d’un territoire d’environ 2 000 ha, nous avons étudié l’utilisation de l’habitat forestier par les cerfs, et nous avons pu montrer qu’au lieu de limiter les déplacements de ces animaux, les propriétés privées partiellement clôturées leur servaient de zones de tranquillité, qu’ils utilisaient pour se reposer (Baltzinger et coll. 2018) et qu’ils quittaient pour aller s’alimenter en milieu non clôturé, principalement la nuit.
Pression sur les écosystèmes
Nous avons pu montrer que des propriétés partiellement clôturées hébergeaient de fortes populations d’ongulés sauvages. Certaines propriétés privées totalement clôturées servent de parcs de chasse ou d’enclos cynégétiques soit pour le cerf, soit pour le sanglier. Sous certaines conditions réglementaires, ces espaces clos permettent la pratique de la chasse toute l’année et hébergent des populations très abondantes de cerfs et/ou de sangliers. Cependant d’autres propriétés sont aussi clôturées pour éviter une trop grande abondance d’ongulés sauvages. Ces différentes situations nous ont permis d’étudier différents niveaux de pression des ongulés sauvages en termes de végétation consommée (par les cerfs et les chevreuils principalement) et de surface de sol retournée par le sanglier.
Quid des plantes et des oiseaux ?
Au sein d’un réseau de 19 propriétés privées pour lesquelles nous avons obtenu l’autorisation de réaliser nos mesures pour compter et quantifier l’abondance des plantes et des oiseaux, nous avons pu étudier l’effet de différents niveaux de pression exercés par les ongulés sauvages sur le fonctionnement de l’écosystème forestier.
Nous avons ainsi pu montrer que les propriétés où le niveau de consommation de la végétation et le retournement du sol par le sanglier étaient les plus forts hébergeaient une plus grande diversité de plantes, principalement des plantes herbacées et des graminées. Les plantes favorisées dans ce cas de figure sont des plantes de début de succession forestière, adaptées aux fortes abondances d’ongulés sauvages et aux perturbations induites par ces animaux.
Pour les oiseaux, nous avons réalisé des points d’écoute qui permettent d’identifier les espèces à partir de leur chant pendant la saison de reproduction.
Nous avons différencié les oiseaux en fonction de leurs sites de reproduction (au sol, dans les arbustes, dans des cavités), de leur régime alimentaire et de leur hauteur d’alimentation (au sol, dans les arbustes pour les chenilles ou dans la canopée). Nous avons ainsi montré qu’aucun groupe d’oiseaux n’était défavorisé par les fortes populations d’ongulés sauvages mais qu’au contraire les oiseaux qui nichaient au sol bénéficiaient de leur présence (Baltzinger et coll. 2016b).
De quoi mettre à mal l’idée selon laquelle les sangliers seraient les principaux prédateurs des œufs d’oiseaux nichant au sol.
Christophe Baltzinger, Chargé de recherches, interactions plantes - ongulés, Irstea
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.