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Déficiences intellectuelles : quand la génétique s’en mêle

Publié par Inserm iBraiN Université de Tours, le 12 octobre 2018   2.2k

>> Image de Une = Objectif : lever la zone d'ombre sur les déficiences intellectuelles. Gift Habeshaw / Unsplash, CC BY-SA

Frédéric Laumonnier, Université de Tours; Annick Toutain, Université de Tours et Marie-Laure Vuillaume Winter, Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm)

Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la Science 2018 dont The Conversation France est partenaire. Retrouvez tous les débats et les événements de votre région sur le site Fetedelascience.fr.


Les déficiences intellectuelles (DI) représentent un ensemble de pathologies affectant le développement du cerveau et concerneraient 1 à 2 % de la population générale, soit 600 000 à 1,2 million d’individus en France, posant un véritable problème de santé publique.

En 2016, un rapport issu d’une expertise scientifique collective au sein de l’Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale (Inserm) a souligné l’importance des enjeux concernant le dépistage, le diagnostic et l’état des connaissances sur les DI, et propose une série de recommandations et de propositions pour une meilleure prise en charge des patients et pour une organisation des passerelles entre soin et recherche.

Notre équipe de recherche basée à l’Université et au CHRU de Tours (iBrain, Inserm U1253), travaille sur les causes génétiques des DI, depuis le recrutement et l’examen clinique des patients jusqu’à l’analyse des gènes et des conséquences des mutations sur le développement neuronal. Grâce à des projets collaboratifs nationaux via les filières de santé AnDDI-Rares et DéfiScience, ainsi que des réseaux de recherche nationaux (HUGODIMS) et européens (GENCODYS), ces travaux ont permis d’obtenir de nouvelles avancées génétiques et moléculaires permettant de mieux comprendre les causes biologiques des DI.

Une constellation de gènes qui illustre la grande variabilité clinique

Les plus fréquentes et les plus connues des maladies génétiques avec DI sont la trisomie 21 et le syndrome de l’X fragile. Cependant, avec l’avènement des nouvelles technologies de séquençage haut débit de l’ADN qui permettent de décoder nos 20 à 25 000 gènes, l’architecture génétique des DI s’est révélée de plus en plus complexe, avec une grande hétérogénéité car des mutations ont été identifiées dans au moins 700 gènes. En outre, chacun de ces gènes concerne un nombre limité d’individus. L’identification de la cause d’une DI chez un patient est donc difficile mais est primordiale pour le conseil génétique.

Notre équipe a participé à un projet collaboratif international soutenu par l’Europe intitulé GENCODYS (Genetic and epigenetic networks in cognitive disorders). En regroupant l’expertise de cliniciens et chercheurs fondamentaux, ce projet rassemblant 16 équipes a produit des travaux de recherche majeurs et pionniers sur l’identification de nouveaux facteurs génétiques dans les DI (plus de 60 gènes découverts), et sur la caractérisation de mécanismes moléculaires affectant la morphologie et l’activité des synapses, ces sites de communication entre les neurones essentiels pour assurer une activité cérébrale fonctionnelle.

Schéma d’une synapse : lieu de connexion entre deux neurones. Fotolia, CC BY

Certaines de ces anomalies génétiques ou chromosomiques peuvent également causer différents troubles neuro-développementaux comme les troubles du spectre de l’autisme (TSA), la schizophrénie, et les troubles du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH). On parle alors de comorbidité génétique.

En combinant des approches d’analyse de l’ADN et de mesure de l’activité du cerveau par électroencéphalographie chez des patients porteurs d’une mutation identique mais présentant une DI ou un TSA, nous avons récemment mis en évidence que cette variabilité clinique pouvait être expliquée par la contribution d’autres gènes, et être associée à une activité cérébrale distincte. Cette étude, publiée en 2016 dans Molecular Psychiatry, a permis de proposer un modèle intégré pour étudier les comorbidités génétiques retrouvées dans les DI et les TSA, et a démontré que des réseaux neuronaux distincts peuvent être impactés.

Les synapses glutamatergiques, des acteurs majeurs dans les DI

La formation des synapses et l’activité neuronale représentent des processus fondamentaux pour l’établissement des fonctions cognitives et de communication, ainsi que pour l’apprentissage et la mémoire. L’organisation structurale et la dynamique fonctionnelle des cellules neuronales, impliquant notamment l’activité synaptique, sont particulièrement touchées dans les DI.

Notre équipe étudie notamment les 1 200 gènes qui permettent la production de protéines localisées dans les structures synaptiques des neurones stimulés par le glutamate, neurotransmetteur (molécule chimique libérée par un neurone pour stimuler un autre neurone) majoritaire au sein du cerveau. Ces synapses glutamatergiques sont particulièrement touchées, sur les plans morphologique et fonctionnel, par des mutations situées dans ces gènes et associées à différents troubles neuro-développementaux.

Des analyses fonctionnelles sur des cellules neuronales permettent de modéliser le rôle normal et pathogène des mutations d’un gène candidat pour déchiffrer les mécanismes physiopathologiques perturbant le développement du neurone.

Cette stratégie nous a permis de découvrir la fonction d’un nouveau récepteur dont le gène, PTCHD1 (Patched Homolog Domain 1), est porteur de mutations chez des sujets présentant un trouble neuro-développemental (DI et/ou TSA). Ce travail, publié dans le journal Molecular Psychiatry en collaboration avec l’équipe du docteur Yann Hérault à Strasbourg, a révélé que la protéine PTCHD1 est un nouvel acteur dans les synapses glutamatergiques et a décrit que son inactivation chez la souris entraîne des modifications de la structure et de l’activité de ces synapses au niveau de l’hippocampe, une région du cerveau majeure pour la mémoire et l’apprentissage.

Ces travaux ont défini une nouvelle « maladie » des synapses (ou synaptopathie) causée par la déficience du gène PTCHD1. La compréhension des mécanismes physiopathologiques qui sous-tendent les DI est une étape essentielle pour proposer des stratégies thérapeutiques.

Des progrès essentiels pour des perspectives thérapeutiques

L’intégration des données de séquençage de l’ADN avec une caractérisation exhaustive de l’impact que des mutations découvertes dans les gènes codant les protéines synaptiques ont sur le développement neuronal, est une stratégie pertinente pour envisager le développement de nouvelles approches thérapeutiques.

Dans ce contexte, notre défi actuel consiste à combiner l’identification des défauts dans les protéines synaptiques associées aux DI avec la compréhension des mécanismes moléculaires responsables de leur physiopathologie.

Par ailleurs, la caractérisation de bio-marqueurs spécifiques, génétiques et métaboliques, constitue un enjeu majeur en santé publique et une priorité dans la recherche biomédicale sur les DI. Notre participation dans un projet collaboratif inter-régional soutenu par la Fondation Maladies Rares et le Groupement Interrégional de Recherche Clinique et d’Innovation (GIRCI) Grand-Ouest va prochainement débuter et utilisera des stratégies dites « multi-omiques » visant à améliorer le diagnostic de formes rares de DI.The Conversation

Frédéric Laumonnier, Chargé de recherche de l'Inserm, Université de Tours; Annick Toutain, Professeur de Génétique Médicale, Université de Tours et Marie-Laure Vuillaume Winter, Docteur ès Sciences en Génétique Moléculaire, Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm)

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.